DE L’ENVOI ET DE LA DESTINATION DE L’ASSOCIATION

Chers amis sociétaires,

Il faut bien en passer par là, pensent certains, lorsqu’ils évoquent la tenue de l’assemblée générale d’une association. Je vous l’ai certifié dans mon courrier du mois dernier, nous ne nous bornerons pas dans cette réunion à effleurer les questions générales, à faire un bilan des actions que vous connaissez déjà et à faire en sorte que les instances élues repartent de cette assemblée les mains libres de faire ce qu’elles veulent, sans avoir tenté au préalable de vous concerner et de vous interroger sur le bien-fondé de ce que nous entreprenons depuis un an. Votre avis est donc précieux car sans lui nos confrontations et nos débats risqueraient de tourner court.

Mais rien ne servirait de vous le demander si en guise de préalable, je ne clarifiais pas avec vous les raisons qui justifient l’envoi de notre association et sa possible destination.

L’envoi donc tout d’abord : l’existence de la Société Psychanalytique de Tours et le motif de sa création peuvent se penser suivant deux grands axes de réflexion : celui du symptôme et celui de la nécessité. Symptôme, si l’on considère que la Société de Tours est une société psychanalytique de plus, venant grandir le nombre des sociétés analytiques qui depuis la dissolution de l’École freudienne ne cessent de voir le jour. À la différence du plus grand nombre d’entre elles, notre Société ne se revendique d’aucun nom propre particulier, notre réflexion étant traversée par plus d’un nom. Elle ne se fonde qu’à partir du seul intérêt qui en motive l’existence, à savoir le libre exercice de la psychanalyse à Tours comme ailleurs (la ville de Tours étant le lieu de l’envoi) et elle essaiera de promouvoir tout à la fois ses rôles de provocation et d’organisation à partir de la seule pensée analytique dans la plus grande de ses diversités. Ce ne sera pas la chose la plus aisée à faire vivre car on aura tôt fait de nous cataloguer dans un courant de pensée plus que dans un autre sous les prétextes les plus ambigus ou les plus nocifs, soit parce que nous accueillerons tel ou tel membre, soit parce que nous inviterons tel ou tel conférencier, soit parce que nous prendrons collégialement telle position devant tel problème d’actualité. Notre liberté d’agir suivant notre sensibilité devra donc en permanence se réfléchir sur le fondement de notre légitimité, c’est-à-dire sur l’analyse de notre dépendance vis-à-vis des autres institutions ou des autres disciplines de pensée, sans parler des institutions officielles et administratives, l’analyse permanente de ce rapport à la dépendance étant peut-être la première condition de la plus grande indépendance possible. Autrement dit, notre société n’est pas l’expression d’une utopie qui fonctionnerait à l’écart ou en retrait des autres institutions existantes. Elle pourrait être, nous pouvons commencer à le penser après un an de fonctionnement, une nouvelle structure qui serait apte à rendre vivants l’exercice et la pensée de la psychanalyse après le constat que celles qui s’y essayent rencontrent certaines résistances pour y parvenir dans la situation culturelle qui nous est donnée aujourd’hui : la plupart des institutions post-lacaniennes ne cessent de nous en porter témoignage. C’est en ce sens très précis que la création de la Société Psychanalytique de Tours est liée à ce symptôme : la difficulté que rencontrent d’autres institutions à faire vivre l’objet qui pourtant les a vu se constituer, s’allier ou rivaliser entre elles, la « frérocité » à l’œuvre dans le milieu analytique venant menacer, non seulement les fondements des institutions et leur indépendance, mais surtout la vitalité de la pensée qui viendrait spécifier l’exercice de la psychanalyse. En affirmant ceci, nous ne portons aucun jugement ni aucune critique négative envers les autres institutions ou groupes de travail. Nous faisons le constat que leur multiplicité et leur richesse n’a nullement empêché la plupart d’entre elles (et non des moindres) de proposer à l’État un projet de réglementation de l’exercice de la psychanalyse sous le prétexte erroné qu’elle serait, dans son envoi, destinée à s’assimiler à une psychothérapie. Faire une telle lecture de la pensée de Freud et de celle de Lacan est non seulement une erreur historique, une régression dommageable pour les patients en analyse, mais c’est aussi une mauvaise interprétation de l’histoire de la pensée psychanalytique, un arrêt sur image sous-estimant l’écriture de l’histoire telle que Freud ne cessa de l’interroger. Tout cela nécessite la création d’une nouvelle Société indépendante. Nécessaire réponse qui ne se satisfera pas d’être un lieu d’accueil et d’hospitalité pour tous ceux qui veulent nous rejoindre malgré la vitalité d’un tel mouvement, sans que collectivement nous puissions penser en permanence le souci de l’envoi donc de la destination d’une telle entreprise. Penser l’envoi et la destination, voilà bien un des thèmes majeurs de la psychanalyse depuis Lacan et son séminaire sur la lettre volée de Poe. Ces questions ne cessent de travailler à l’intérieur de toutes les institutions, même si parfois elles ne sont jamais abordées. La question de la lettre est donc au centre de notre réflexion comme de notre fonctionnement. Certes il s’agit bien à travers elle de penser en permanence les spécificités de l’exercice de la psychanalyse, mais aussi d’en garantir la transmission. À cet effet, il est indéniable que nous ne pouvons plus penser de la même manière aujourd’hui que du temps de Freud ni du temps où Lacan exerça son influence. Les choses et le monde changent, et la spécificité de la psychanalyse ne peut se penser ou s’élaborer sans tenir compte de ces évolutions. Comment pouvons-nous les cerner et en répercuter les effets dans la pratique quotidienne sans pour autant en dénaturer l’envoi et la destination ? Il nous faut donc tout à la fois penser le spécifique de la psychanalyse et cerner ses limites dans le monde qui est le nôtre. La psychanalyse, si elle se destine (et Freud l’a bien destinée), est elle-même destinée. Et sa destinée pourrait probablement se penser en dehors du thème récurrent de sa fin annoncée ou promise. Cette destinée ne pourrait alors se penser indépendamment d’une politique ou d’une stratégie qui n’évoquerait pas seulement ici un concept de conquête ou une rivalité guerrière et encore moins une conception relevant du hasard, mais une stratégie de la limite, des bords, définissant ainsi où la psychanalyse pourrait se destiner et être destinée. Pour poser la question autrement : penser la psychanalyse en vue de quoi ? depuis où et jusqu’où ? en quoi et comment ? par qui et pourquoi ? Comment une telle pratique peut-elle se décider et dans quelles limites ? Nous aurions tort de penser que l’exercice de la psychanalyse et la pensée qui l’accompagne soient un fait culturel acquis depuis Freud et que rien ne viendrait en menacer la spécificité. Nous savons tous, depuis les événements de la réglementation des psychothérapies, qu’elle pourrait disparaître corps et âme dans sa spécificité pratique (son cadre, son mode opératoire, sa tradition, son avenir) mais surtout dans l’exercice de sa pensée, c’est-à-dire l’influence de sa pensée dans la culture, le risque que l’idée même d’inconscient soit oubliée, radiée, occultée au profit de sciences ou de théories plus « lumineuses » apportant beaucoup plus de vérités concrètes et intelligibles. L’original, le radicalement nouveau, pensés depuis Freud, pourraient être alors rattrapés, dépassés par les questions métaphysiques qui ne cessent de définir la vérité du monde et les vérités de l’homme dans ce monde (de la médecine à l’écologie politique) refoulant les spéculations freudiennes au rang de religion ou même de secte.

Spécifier la psychanalyse et son libre exercice, c’est dans un tout premier temps ne pas perdre de vue les fondements de son apparition dans l’histoire de la pensée. Les idées qui guident Freud sont celles d’un refus et d’un raisonnement dialectique. Le refus est celui du primat de la conscience non seulement dans ce qui guide les actes raisonnés des hommes, mais aussi dans la connaissance des actes posés. Cette affirmation, pour générale qu’elle soit, a de multiples conséquences dans l’approche des phénomènes perceptibles, les représentations n’apparaissant plus seulement à la lumière, mais s’élaborant dans l’obscurité d’une conscience qui au mieux n’en percevrait que les effets. La théorie analytique, qui à partir de ce phénomène se déploiera, contiendra donc tous les germes du conflit, de ce conflit bien singulier entre la perception consciente et le système de représentations inconscientes qui les guiderait, qui serait seul maître à bord. La psychanalyse, ou ce que nous avons pour habitude de désigner par l’article (la) qui semble la définir est donc une science conflictuelle en premier lieu pour le sujet qui en subit les effets mais aussi pour les corps constitués de la culture qui développeront à son endroit des attaques et des critiques tentant soit de l’annexer soit d’en réviser la visée. Le procédé n’est pas nouveau et toutes les nouvelles sciences de la conscience qui ne cessent d’envahir le terrain de la connaissance dite psychologique ne font que démontrer ce phénomène de résistance qui combat le « vrai » et le « dangereux » de la découverte freudienne. D’où le nécessaire raisonnement dialectique pour analyser ces résistances et les neutraliser. En effet, ces résistances ne surgissent pas uniquement à l’extérieur du champ psychanalytique mais également à l’intérieur provoquant des poussées révisionnistes de l’histoire et des contre-attaques internes. Ce phénomène a fait dire à Althusser que la psychanalyse n’était pas seulement une science conflictuelle, mais aussi une « science scissionnelle » constituant un véritable scandale pour la raison scientifique qui se heurtera toujours à l’impossibilité de sa complète assimilation.

Et puis pour clore cet aperçu, puisque nous en sommes à dégager les spécificités générales qui n’ont d’autres buts de se proclamer ici uniquement pour re-préciser l’envoi et la destination de notre nouvelle société, il y a un autre scandale touchant à la psychanalyse qui contient en sa définition toute la complexité de sa pratique face à la raison scientifique. Ce scandale touche aux conditions ou plutôt à l’unique condition pour pouvoir l’exercer : celle d’être analysé suivant des critères que nous ne déploierons pas ici en détail, mais suivant le principe édicté par Machiavel qui écrivait « qu’il faut être peuple pour connaître les Princes ». Freud ne dira pas autre chose en soutenant que pour occuper la place de l’analyste, il faut au préalable avoir suivi une analyse, l’éprouver de l’intérieur, mesurer au travers des avatars de son histoire individuelle les effets concrets d’une réalité psychique qui, ne cédant rien (ou peu de choses) à la conscience imposera sa loi au sujet aveugle et à son destin. Peu de personnes mesurent réellement l’impact idéologique d’une telle contrainte qui est souvent entendue comme une obligation morale, un peu comme le sujet-de-droit qui, pour être conscient et avoir une identité, soit une autorité, se devrait d’avoir une connaissance des lois qu’il est censé ne pas ignorer pour avoir conscience de leur contrainte. Or ce que dit Freud, en précisant cette règle, n’est absolument pas cela. L’unique, l’inconditionnelle nécessité « du traitement psychique de l’analyste » ne vient pas cautionner une préoccupation de droit du sujet en conscience, elle vient heurter de plein fouet toutes les préoccupations morales et politiques en vigueur dans l’exercice scientifique puisqu’elle vient tenter de définir un « sujet de l’inconscient », véritable provocation à l’idéologie bourgeoise de l’époque tout comme elle reste une provocation actuelle à l’idéologie d’une culture de masse qui centre son action sur le principe de l’unité psychologique d’un sujet conscient de ses besoins. Or si le sujet de l’inconscient dit quelque chose, impose quelque chose à ce système de perception qu’est la conscience, c’est bien cette nécessaire altérité comme constitutive d’une identité, d’une altérité qui se définirait toujours à l’insu de la conscience ou de la maîtrise que le sujet pourrait croire avoir de lui-même. C’est cette expérience singulière d’analyse de « l’autre en soi » que Freud demande à tous les candidats analystes sans autre condition sélective dans un premier temps, démarquant, une fois pour toutes, l’exercice de la psychanalyse des idéologies médicales et religieuses.

Il faudra aller plus loin dans les conséquences du décentrement de ces représentations qualifiantes, de cette contrainte — soi-disant formatrice — qui oblige plus qu’elle n’autorise. Elle interroge en permanence le fait psychique et sa représentation. Cet ensemble de forces conflictuelles, décrites dès l’Esquisse, Freud prendra soin de le qualifier d’appareil, terme ô combien surprenant et qui ne devrait pas manquer de nous interroger en ce sens que ce terme « appareil » a quelques résonances dans l’histoire de la philosophie politique. Ce terme résonne ou fait résonner l’organisation des forces en présence. Or affirme Freud, ces forces, pour organisées qu’elles soient ne forment en aucune manière une réalité au sens d’une réalité matérielle. C’est en ce sens très précis et très largement développé par Freud tout au long de son œuvre que l’inconscient se démarque de celui de la tradition philosophique. Il n’est ni l’oubli platonicien, ni l’indiscernable leibnizien, ni même le « dos » de la conscience de soi entrevue chez Hegel. Autrement dit, l’inconscient freudien n’est jamais une modalité de la conscience ou son accident, c’est-à-dire une conscience méconnue dont il suffirait de soulever le voile pour en découvrir la vérité. Cet appareil psychique décrit par Freud nécessite donc une autre approche de la représentation, comme il revendique pour ceux qui y sont sensibles, une forme plus subtile et différemment élaborée de la représentation politique, sociale, juridique au sein d’une organisation, d’une association comme la nôtre. Il ne s’agit pas ici d’appliquer une conception de l’appareil psychique à un mode original d’appareil politique, mais d’essayer d’en tenir compte. Comment ? Là réside toute la difficulté. Je l’ai déjà évoqué partiellement avec vous par l’envoi du courrier annonçant la tenue de notre assemblée. Nous disons donc : pas de conditions pour s’associer librement et pour donner son opinion, pas de conditions d’exclusivité, de diplôme, de qualification, d’expérience, de niveau culturel, pas de conditions formelles définies à l’avance. Soyons plus précis : pas de fausses conditions qui ne se situeraient qu’au niveau classique de la représentation et de l’ordre moral. Chacun ici trouvera les siennes propres et évaluera dialectiquement ses propres représentations qualifiantes. Notre société se destine à ceux qui s’y destinent. Entendez-le comme vous le voulez, mais ne doutons pas qu’au fil du temps, cette affirmation provoquera des arrivées comme des départs, « cette relève » étant d’ailleurs déjà commencée, certains trouvant leur place et d’autres pas encore, pas tout de suite, ou pensant ne jamais pouvoir la trouver en ce lieu hors gradus et hors représentations qualifiantes telles que la tradition ontologique l’impose. L’envoi et la destination visent d’entrée les limites de ces représentations classiques en les questionnant.

Que représente le fait d’être membre d’honneur, correspondant, titulaire, membre du collège, membre du conseil d’administration, que représente le fait d’être secrétaire, trésorier ou président ? Qu’est-ce qu’un rapport moral ? Pourquoi se devrait-il d’être moral, qu’est-ce que cela veut dire à l’intérieur comme à l’extérieur de notre société ? Qu’est-ce que cela implique comme responsabilité, comme travail sur soi avec d’autres semblables ou différents, à l’intérieur des débats critiques, des explications ouvertes qui, en définitive, n’ont d’autres visées que d’éviter le recentrement de l’hégémonie du pouvoir, d’un discours ou d’une problématique partisane ? Si une assemblée comme la nôtre ne reste pas vigilante en permanence à tous ces pièges de la représentation qui en conscience peuvent se légitimer, comment ferons-nous croire ou comprendre le rôle prépondérant de l’inconscient et du fonctionnement de l’appareil psychique à ceux qui pourraient en douter ou à ceux qui en seraient les adversaires ? Je vous donne un exemple. Nous avions prévu fin Janvier une journée d’étude autour du travail d’une représentante d’une autre institution soi-disant « analytique », dont je connais l’excellence de l’étude et le sérieux de son assiduité. Tout était en place et entre cette personne et moi, nous avions suffisamment parlé pour que les choses soient claires. Or à la veille de nos Journées de Tours, cette « amie » m’appelle pour me dire qu’elle ne pourra tenir son engagement. La sentant très embarrassée, je lui demande de m’en dire plus, ce qu’elle refuse énergiquement. Elle ajoute même qu’elle ne peut pas me dire pourquoi. Est-ce une question entre elle et moi, aurais-je fait un impair ? « Pas de problème là-dessus. » Est-ce alors en fonction du groupe que nous constituons, de sa représentation et de son action ? « Je ne connais pas votre groupe me dit-elle. » Alors qu’est-ce ? « Je ne peux vous l’expliquer » et sentant son embarras et sa gêne, je comprends que ce désistement dont elle n’est pas coutumière est une affaire d’appareil. C’est du moins ce que j’en conclus provisoirement. Si nous retenons cette dernière hypothèse, que signifie donc faire partie, être membre de tel groupe ou de tel autre si l’appareil dicte ce que doivent faire ou ne pas faire ses membres ? Quels sont la visée, l’envoi et la destination d’un tel message ? Est-il conforme à ce que nous pouvons dire et expliquer tous les jours sur les contraintes qu’impose le pouvoir centralisé de la conscience qui cherche à garder la maîtrise, se prévalant de l’unité qu’elle croit sauvegarder en la recentrant perpétuellement sur elle-même ? Je saisirai le collège des membres titulaires de cette question afin que nous puissions de manière contradictoire formuler une opinion, un sentiment ou un ressentiment aux intéressés face à un tel événement.

Vous comprenez tout de suite que l’illusion de la fraternité et du travail mis en commun pour le bien ou la vitalité d’une pratique spécifique se heurte presque « naturellement » non pas à « l’erreur » ou à « l’ignorance » mais à tout un système organique d’une idéologie qui n’a comme seule ambition que de soumettre ceux qui s’y opposent « à la raison » ou à « la vérité » d’un discours. Nul besoin aussi de préciser qu’à l’intérieur tout comme entre les institutions, s’établissent inévitablement des rapports d’exploitation indéniablement conflictuels et que chacune d’entre elles ne cherche qu’à imposer à l’autre « la raison du plus fort » en faisant mine d’occulter le nécessaire rapport d’exploitation qui est indispensable à cette logique. Tout résiderait donc dans le positionnement subjectif, soit du point de vue d’où l’on décide de voir le monde. Toute la question de la souveraineté se pose là. De quel lieu décide-t-on d’être souverain ? Du promontoire éclairé de la conscience ou de la position de l’analysant plongeant son regard dans l’obscurité ? Freud, comme Marx, comme Nietzsche, inaugure de cette idée qu’on ne peut pas tout voir de partout et qu’on ne peut découvrir la réelle teneur de cette réalité conflictuelle qu’à la condition d’occuper certaines positions dans le conflit, à l’exclusion des autres, au risque de succomber à l’illusion d’une suprématie éclairée et éclairante.

Sans doute a-t-on expliqué à cette personne, qui spontanément se proposait de nous exposer les fruits de son travail, qu’il fallait qu’elle soit consciente de ce que représentait un tel projet pour l’institution qu’elle était censée représenter implicitement. Nous comprenons donc aisément l’utilité du « sujet conscient de soi » pour toutes les idéologies dominantes. Elle devient terriblement requise pour mener à bien toutes les stratégies d’exploitation. Il devient alors facile de dire aux citoyens ce qu’ils doivent être pour qu’ils puissent accepter leur propre soumission, d’autant plus docilement que cette contrainte se fait hors violence armée, pour leur bien ou leur sécurité ou pour l’unité du bien collectif.

Vous l’aurez, je pense, compris, ce n’est pas à ce risque de l’unité des sujets conscients d’eux-mêmes que notre société vous invite en se rassemblant. Chacun ici est libre de se déterminer sur ce projet, cette orientation qui tenteront de se concrétiser par des actions essayant de percevoir les enjeux de la pratique analytique du seul point de vue de l’entendement secret. La pensée ne s’élabore que secrètement, à l’insu. C’est bien cette idée simple qu’il nous faut tenter de faire vivre. Chacun y a donc spontanément sa place.

Je vous propose donc que notre stratégie soit celle de l’hospitalité et que notre politique soit, pour reprendre une expression de Derrida, une politique « au-delà du principe de fraternité ».

Francis CAPRON