Francis Capron annonce la possible venue de René Warq, ancien professeur de l'Université de Tours pour nous donner un cours sur Marx.

Nous lisons le texte Freud et Lacan article écrit en janvier 1964, extrait des Écrits sur la psychanalyse de Louis Althusser (Édition Stock/Imec 1993)

Aux dires de Louis Althusser lui-même, ce texte est une intervention philosophique dans le Parti communiste français pour y faire reconnaître la scientificité de la psychanalyse, l'œuvre de Freud et l'intérêt de l'interprétation de Lacan. Il s'agissait alors d'un combat car la psychanalyse avait été officiellement condamnée dans les années 1950 comme « une idéologie réactionnaire ».

À cette accusation, Althusser répond par le fait que la psychanalyse a un objet propre qu'il convient de circonscrire. Voici sa magnifique définition de l'objet de la psychanalyse : « Un des « effets » du devenir-humain du petit être biologique issu de la parturition humaine : voilà en son lieu l'objet de la psychanalyse qui porte le simple nom de l'inconscient. » p. 35

Mais rendre à la psychanalyse son objet ne peut se faire sans une élucidation épistémologique, c'est-à-dire sans la reconnaissance du caractère spécifique que la psychanalyse entretient, via son rapport à la connaissance, avec la pratique, la technique et la théorie.

Pour ce faire, il convient aussi selon Althusser de se confronter au paradoxe de toute science : la psychanalyse, comme n'importe quelle science, ne peut pas penser ses découvertes et sa pratique en dehors des concepts importés, empruntés à la philosophie, notamment : conscience, pré-conscient, inconscient, « plus encombrants que féconds, car marqués par une problématique de la conscience, présente jusque dans ses restrictions. » p. 27

C'est pourquoi la psychanalyse est déjà vieille de ses préjugés avant même que d'avoir pu naître à elle-même.

Cela est amplifié par le fait que la Raison Occidentale ne consent à la reconnaître, ou plus exactement à « conclure un pacte de co-existence pacifique avec (elle), que sous la condition de l'annexer à ses propres sciences ou à ses propres mythes. » p. 31

Cela a évidemment eu pour conséquence une mythification de la psychanalyse.

Ainsi, selon Louis Althusser, seul Lacan a permis de penser vraiment les concepts de la psychanalyse.

Car, refusant précisément d'enfermer la psychanalyse dans des discours déjà constitués, Lacan eut à cœur de repenser un langage de la psychanalyse : celui de la passion contenue ou plus exactement d'une « contention contenue du langage », dont l'objectif est de désamorcer les coups assénés par toutes les autres corporations, dont l'intention était d'écraser cette nouvelle science aux aspects hautement menaçants pour elles, dans la mesure où la psychanalyse risquait « d'entamer des frontières existantes, donc de remanier le statu quo de plusieurs disciplines. » p.33

Au reste, Lacan utilise « dans la rhétorique de sa parole, l'équivalent mimé du langage de l'inconscient qui est comme chacun sait, en son essence ultime, « witz », calembour, métaphore ratée ou réussie : l'équivalent de l'expérience vécue dans leur pratique qu'elle soit d'analyste ou d'analysé. » p. 34

Face à ce texte, nous nous interrogeons sur plusieurs points :

. Il existe un impossible : faire d'une nouvelle science une science pure qui pourrait se constituer en dehors de tout héritage.

C'est face à cet impossible que les dissensions entre philosophie et psychanalyse demeurent encore vives aujourd'hui. Cette annexion pointée par Althusser de la psychanalyse par la philosophie est encore à l'œuvre dans certaines réactions face à nos engagements idéologiques à la Société Psychanalytique : penser les rapports de la psychanalyse avec la politique ou la philosophie dans une assemblée de psychanalystes, serait ne pas parler de psychanalyse.

Or, Althusser est précisément celui qui pense l'articulation de ces trois lieux de la pensée.

Il est ici profondément intéressant de montrer qu'il ne cessera de le faire à partir même du refus d'une quelconque annexion de la psychanalyse par ce qui n'est pas elle. Ce texte Freud et Lacan en témoigne.

Car cela est indéniable : la philosophie et la psychanalyse n'ont pas le même objet. Ne serait-ce que sur le plan épistémologique.

L'une pense la science ou la connaissance en terme d'abstraction face au réel. Dans la philosophie de tradition idéaliste, et kantienne en particulier, il convient de connaître à partir d'un « sujet connaissant », dont l'esprit possède en lui-même les conditions de possibilité a priori, conditions transcendantales de l'expérience, c'est-à-dire des cadres a priori de la connaissance ; cadres de l'esprit qui sont des formes ou des structures – nommées par Kant catégories de l'entendement, comprenez : « grands concepts » –, dans lesquels viennent se ranger et s'ordonner les matériaux sensibles de la connaissance, eux-mêmes confus et désordonnés. Autrement dit, se plaçant au-dessus du réel, séparé de lui, le dominant par un pouvoir de synthèse et d'activité de l'entendement, le sujet de la connaissance, dicte ses lois à la nature : « l’entendement ne puise pas ses lois dans la nature mais les lui prescrit » Kant Critique de la raison pure – Préface de 1787. Kant définit ainsi l'acte de connaître : « Subsumer le divers sensible sous des catégories a priori. »

À l'inverse, Althusser, s'adressant à Franca dans une Lettre du 21 février 1964, affirme un autre de la philosophie : « comme expérience directe, extraordinaire, du contact à vif avec certaines réalités insoutenables normalement, je veux dire insoutenables au contact quotidien que les gens ont avec la vie : ces histoires de vie et de mort, dont quelque chose avait passé dans ce texte sur Lacan que je t'ai laissé (il relate ici à Franca la sorte d'état hallucinatoire dans lequel se produit son écriture de l'article Freud et Lacan). Chose assez étrange, quand j'y pense. J'ai vraiment vécu plusieurs mois avec une extraordinaire capacité de contact à vif avec des réalités profondes, les sentant, les voyant, les lisant dans les êtres et la réalité comme à livre ouvert. Souvent repensé à cette chose extraordinaire, – en pensant à la situation de ces quelques rares dont je vénère le nom, Spinoza, Marx, Nietzsche, Freud et qui ont dû nécessairement, avoir ce contact pour pouvoir écrire ce qu'ils ont laissé : autrement je ne vois pas comment ils eussent pu soulever cette énorme pierre tombale qui recouvre le réel... pour avoir avec lui ce contact direct qui brûle encore en eux pour l'éternité. » p.17

Philosophie et psychanalyse, sont ici mises dos à dos, mais se faisant face par un jeu de miroirs dans lesquels viennent se refléter les questions du sujet, du langage, du rapport que l'un et l'autre entretiennent avec le réel.

Et les miroirs se répondent à l'infini : au concept de sujet un et universel de la philosophie, la psychanalyse rétorque celui de sujet divisé. À celui de réel soumis aux pouvoir de l'entendement et de la raison, Lacan réplique un Réel impossible à cerner. Au langage déjà reconnu par la linguistique comme séparé de ce qu'il désigne, la psychanalyse pense un inconscient structuré comme un langage où vient se redoubler encore le « non-rapport identique au rapport entre le discours verbal du sujet et le discours de l'inconscient ».

Questions de discours qui eux aussi sont décalés tant ils parlent de la même chose sans adéquation possible d'un rapport commun à la chose.

. Au final, ces questions ne pourraient-elles pas être repensées au cœur d'une réflexion sur le concept même d’idéologie ?

Ou plus exactement celui de « malentendus idéologiques », apporté presque brutalement dans le texte d'Althusser, mais qui vient faire surgir avec force la question du En droit au cœur de la psychanalyse. Cette question, selon Althusser la plus originale de Lacan, est sa découverte.

« Ce passage de l'existence (à la limite purement) biologique, à l'existence humaine (enfant d'homme), Lacan a montré qu'il s'opérait sous la Loi de l'Ordre que j'appellerai Loi de Culture, et que cette Loi de l'Ordre se confondait dans son essence formelle avec l'ordre du langage. » p.38

Qu'il y ait malentendu induit qu'il y a ratage, mais en même temps soumission à l'Ordre symbolique et par là même, soustraction à la satisfaction imaginaire de la relation duelle « œdipienne ».

Ne pourrait-on pas faire un pas de plus et oser penser une structure ternaire – quand le tiers se mêle et bouleverse en intrus, mais permettant à la psychanalyse de dire je, tu, il, elle, autrement dit de lui apporter sa spécificité – ? Ce tiers qui pourrait être pensé entre philosophie et psychanalyse : ne pourrait-il pas être apporté par la politique comme pensée d'une organisation de la communauté ?

L'idéologie – système d'idées propres à une époque, un groupe social ou une société – , n'est-elle pas précisément ce qui vient penser la délimitation d'un champ de pensée au sein d'un cercle communautaire, mais aussi mouvement en gravitation avec d'autres systèmes se rejoignant parfois, s'excluant souvent, telle l'amitié définie par Nietzsche comme une constellation d'étoiles :

« Amitiés d'astres – Nous étions amis et nous sommes devenus l'un pour l'autre des étrangers. Mais cela est bien ainsi et nous ne voulons ni nous le cacher ni nous le voiler, comme si nous devions en avoir honte. Nous sommes deux vaisseaux dont chacun a son but et sa route ; nous pouvons nous croiser et célébrer une fête ensemble, comme nous l'avons déjà fait, — et ces braves vaisseaux étaient si calmes dans un seul port, sous un seul soleil, et l'on pouvait croire qu'ils étaient à leur but déjà, qu'ils n'avaient eu qu'un seul but commun. Mais alors la force toute puissante de notre tâche nous a séparés dans des mers différentes, sous d'autres rayons de soleil et peut-être ne nous reverrons-nous plus jamais, — ou peut-être nous reverrons-nous, mais ne nous reconnaîtrons-nous point : les mers et les soleils différents nous ont transformés ! Qu'il fallût que nous devenions étrangers, voici la loi au-dessus de nous et c'est par quoi nous nous devons du respect, par quoi sera sanctifiée davantage encore le souvenir de notre amitié de jadis ! II y a probablement une énorme courbe invisible, une route stellaire, où nos voies et nos buts différents se trouvent ins¬crits comme de petits chemins à parcourir, — élevons-nous à cette pensée ! Mais notre vie est trop courte et notre faculté de voir trop faible pour que nous puissions être plus que des amis dans le sens de cette altière possibilité. — Et ainsi nous voulons croire à notre amitié d'étoile, même s'il faut que nous soyons ennemis sur la terre. » Le gai savoir Aphorisme 279.