Je voudrais aborder avec vous une question qui touche à la fois à la spécificité de la psychanalyse comme à celle de notre société. Il est temps, je le pense, de tenter de la cerner et d’en mesurer tous les enjeux. C’est une question délicate et difficile puisqu’elle reprend un terme dont on ne cesse de parler au quotidien et face auquel chacun individuellement se confronte. Je dirai même, si l’on y réfléchit bien, que c’est la question qui motive généralement les demandes de cure et qui malheureusement est trop souvent négligée, laissée pour compte, tout comme la réflexion qui l’accompagne et qui pourtant est au cœur de la clinique psychanalytique. Je vais donc vous parler d’économie, terme qui est, vous en conviendrez avec moi, d’une banalité exemplaire, que l’on emploie communément et qui exprime dans un sens premier une mise en œuvre de moyens pour arriver à un résultat.

L’économie, vous le savez déjà, envahit notre quotidien, le dirige et imprime sa trace dans la manière que nous avons de concevoir les choses ; elle oriente notre vie. Ainsi parle-t-on de crise « économique » qui annonce le plus souvent une récession, tout comme on peut parler d’expansion ou de croissance économique, ce qui signifie généralement que tout va bien ou que tout va mieux même si on ne sait pas exactement pour qui. Parallèlement à ces baromètres que l’on nous assène sans que l’on sache exactement de quoi il retourne, on parle de nos jours de « crise » de la pensée. La pensée se porterait mal tout comme l’économie serait en crise, comme s’il y avait un lien entre les deux, entre ces deux domaines qui pourtant d’un strict point de vue extérieur n’ont rien à voir l’un avec l’autre. A priori on ne voit pas pourquoi l’exercice de la pensée irait plus mal quand l’économie va mal et qu’elle irait mieux lorsque l’économie se porte bien. À moins que ce nouveau rapport soit, lui aussi, une invention de notre économie libérale et que penser, le fait de penser soit assimilé à une production, à un marché. On se devrait de produire de la pensée qui serve à quelque chose, qui rentrerait dans un rapport d’efficacité, de production, de plus-value. La pensée deviendrait, elle aussi, une marchandise consommable ou non. C’est de ce rapport ambigu qu’il va nous falloir parler, c’est cette évolution, cette pseudo-dépendance d’un champ à l’autre qu’il va nous falloir éclaircir pour mieux en saisir les enjeux. N’en doutons pas, nous y sommes soumis comme les autres et comme nous ne voulons pas faire de notre société une entreprise prisonnière des principes qui gouvernent l’économie libérale, dont on connaît la sauvagerie, il nous faut réfléchir un peu sur ce que pourrait être notre économie pour que nous garantissions au mieux nos possibilités de développer notre pensée et de garantir sa circulation.

L’ambigüité porte bien sur le terme : Économie. Et d’une manière tout a fait paradoxale, ce terme se retrouve chez Freud, ce qui à bien des égards est troublant. Que nous dit Freud lorsqu’il nous parle d’économie ? Il nous dit, tout d’abord, que les psychanalystes ne s’en occupent pas trop ou pas assez. C’est dans Deuil et Mélancolie : « Le point de vue économique n’a guère été pris en considération jusqu’à ce jour dans les travaux psychanalytiques ». Nous sommes en 1915. L’aurait-il été plus à ce jour ? Je ne le crois pas. Il a même été complètement oublié. Je vous donne un exemple. Lorsqu’un patient vient voir un analyste, il le fait en général, quelle que soit la problématique personnelle à laquelle il est soumis, parce qu’il aspire à un changement. Il faut que pour lui, cela change. Il faut que cela change concrètement parlant parce que cela va mal. Eh bien, je crois que ce souhait, cette aspiration, ce désir de changement pose toujours implicitement une question économique. Je pourrais vous en donner de multiples exemples, mais ce n’est pas ici mon propos. Lorsque Freud nous parle d’économie, il parle bien sûr d’économie psychique, soit un rapport au principe de plaisir, l’économie psychique étant ce qui rassemblerait et guiderait le « destin » des excitations telles qu’elles sont éprouvées « grandeur nature » par le sujet. L’économie psychique serait la part la plus subjective de chacun, chacun ayant la sienne, soit sa manière de « gérer » les flux et les reflux de ses propres excitations, leur nombre, leur quantité mais aussi leur qualité. Cette différence que fait Freud entre la quantité et la qualité est d’importance car elle nous introduira sur un autre discours concernant l’économie. Il ne faut pas que nous en doutions : lorsque Freud parle d’économie, il en parle en économiste, en économiste d’une somme d’énergie psychique tout comme l’économiste industriel parlerait de toutes les possibilités d’un potentiel d’exploitation. Seulement Freud introduit un écart entre la quantité des énergies et leur qualité, non pas pour produire plus de résultats, mais pour en produire moins ou pour en produire juste assez pour garantir l’équilibre psychique, c’est-à-dire la vie. Il y a ce texte de 1924 dans lequel Freud ne parle que de cela. Le titre même en donne la saveur : Le problème économique du masochisme. C’est une question de premier choix car elle touche bon nombre de patients, elle les touche presque tous, plus ou moins, dans leur résistance au changement. Ce texte, d’une grande clairvoyance, arrive peu de temps après Au-delà du principe de plaisir et Freud s’en donne à cœur joie pour nous démontrer que l’économie masochiste vient satisfaire à un désir secret de destruction, désir refoulé par des facteurs extérieurs au moi pour se transformer ensuite en culpabilité inconsciente ou en désir de punition. Je vous cite ce paragraphe étonnant qui j’espère vous éclairera :

« La conscience et la morale sont apparues du fait que le complexe d’Œdipe a été surmonté, désexualisé ; par le masochisme moral la morale est resexualisée, le complexe d’Œdipe ressuscité, une voie régressive est frayée, de la morale au complexe d’Œdipe. Cela s’effectue ni à l’avantage de la morale ni à celui de l’individu. Celui-ci peut, certes, avoir conservé à côté de son masochisme tout ou partie de sa moralité mais une bonne part de sa conscience morale a pu aussi se perdre au profit du masochisme. Le masochisme engendre d’autre part la tentation de commettre le « péché », celui-ci devant être ensuite expié par les reproches de la conscience morale sadique ou bien par le châtiment du Destin, la grande puissance parentale. Afin de provoquer la punition par cet ultime représentant parental, le masochiste doit agir à l’encontre de ce qui convient, œuvrer contre son propre intérêt, détruire les perspectives qui s’ouvrent à lui dans le monde réel et éventuellement anéantir sa propre existence réelle.

Le retournement du sadisme contre la personne propre se produit régulièrement lors de la répression culturelle des pulsions qui retient une grande partie des composantes pulsionnelles destructrices de s’exercer dans la vie. On peut se représenter que cet élément de la pulsion de destruction qui a fait retraite se traduit sous la forme d’une augmentation du masochisme dans le moi…. Le sadisme du surmoi et le masochisme du moi se complètent mutuellement et s’unissent pour provoquer les mêmes conséquences. À mon avis, c’est seulement ainsi qu’on peut comprendre que de la répression pulsionnelle résulte un sentiment de culpabilité et que la conscience morale devient d’autant plus sévère et sensible que la personne s’abstient d’agressions contre d’autres….. »

Puis plus loin, à la toute fin du texte : « Ainsi le masochisme moral devient-il le témoin classique de l’existence de l’union pulsionnelle (entendez ici la désintrication des pulsions). Son caractère dangereux provient du fait qu’il a son origine dans la pulsion de mort, qu’il correspond à la partie de celle-ci qui a évité d’être tournée vers l’extérieur sous forme de destruction. Mais comme il a d’autre part la signification d’une composante érotique, même l’autodestruction de la personne ne peut se produire sans satisfaction libidinale ».

L’économie donc, les principes économiques, qu’il s’agisse de l’économie psychique comme de l’économie matérielle, peuvent, s’ils ne sont pas régulés, s’ils ne sont pas dépensés à bon escient, entraîner la mort. Le bon escient ici tiendrait compte du savoir inconscient, du savoir insu et non de la raison. Autrement dit, si on ne retient pas le principe de l’inutilité vitale de sa dépense, l’énergie risque de se mettre au service du mortifère au lieu d’être au service de la vie. C’est exactement ce que nous démontrent les patients qui viennent nous voir pour commencer un travail. Leurs difficultés sont souvent associées à une problématique de conservation, soit une question éminemment économique. Ils veulent bien que cela change mais ils ne veulent pas ou résistent, dans un temps premier, à l’idée que cela puisse changer en leur coûtant, entendez que cela puisse leur coûter tant en argent qu’en activité désirante. Le paradoxe soulevé est une question économique, car même si le déplaisir est supérieur au plaisir qu’ils ressentent à l’idée de pouvoir changer, vous aurez bon leur demander un petit prix pour la séance, ils ne s’installeront pas pour autant dans une dynamique de changement. Comme s’ils étaient comptables de leur propre existence comme on serait comptable de ses propres deniers. Changer oui, mais sans trop dépenser, la dépense étant ici bien plus importante que le coût réel. Conserver donc, préserver l’énergie, remettre à demain l’expérience de la vie dans un souci constant d’efficacité. Alors ces patients veulent bien investir (comme l’hebdomadaire du même nom), mais ils veulent que cela leur rapporte, ils veulent des résultats, ils veulent que cela serve à quelque chose et l’époque d’aujourd’hui ne les aide pas vraiment à entrevoir une autre logique. Arrivent alors les inévitables questions : Combien ça coûte ? Est-ce que ça dure longtemps ? La régularité est-elle vraiment nécessaire ? Pourquoi dois-je m’inscrire dans une telle démarche à long terme ? Et pendant les vacances, comment fait-on ? Autant de questions tout à fait ordinaires et banales que nous avons l’habitude de traiter et qui posent d’emblée les questions d’ordre économique du changement souhaité, questions que le patient nous adresse comme pour tester si de ce point de vue économique, nous sommes dans l’actuel d’un désir authentique d’analyste. Je vous le demande alors : la psychanalyse, ça sert à quoi ? Une Société de psychanalyse, ça sert à quoi ? À rien d’autre sinon à dépenser de l’énergie, non pas pour rien, mais pour des résultats escomptés dans l’après-coup. Cela ne sert à rien sinon à produire des effets, à produire à l’insu quelques petites révolutions.

C’est peut-être là que Freud et Marx auraient eu un point commun, celui d’inciter à des petites révolutions permanentes dans le monde de la pensée. L’œuvre de Marx installe le postulat qu’il n’existe pas d’économie politique autonome sauf à occulter ou à travestir les rapports entre les classes sociales et leurs luttes rivales, qu’il n’y a pas d’économie politique indépendante d’un rapport de domination d’une classe sur une autre. Autrement dit, il ne pourrait y avoir d’économie politique sans conflit, le conflit étant la base même de l’économie - idée (révolutionnaire) que l’on retrouve chez Freud lorsqu’il nous parle de l’intrication des pulsions qui, parce que conflictuelles entre elles, préserve une sorte d’équilibre psychique par et pour le conflit. Ce que je veux vous dire, mais peut-être vais-je vous le dire d’une façon maladroite, la psychanalyse, son exercice n’a aucun rapport, ne peut entretenir aucun rapport avec les postulats qui prévalent dans l’économie de l’échange. Lorsque le patient paye sa séance, ce n’est en aucune manière le prix d’un service, d’une prestation qui lui serait donnée. Ce qu’il paye, ce qu’il donne se situe ailleurs, dans un ailleurs qui dépasse de très loin le paiement d’un acte si ce n’est le sien et que l’acte analytique n’est rétribuable en aucune façon de cette manière. Et si ceci devait pouvoir se démontrer, toute la difficile question « des séances manquées » serait là pour le faire. Quelle injustice apparente, quel scandale officiel s’affiche ainsi lorsqu’un analyste exige de son patient le dû de sa séance lorsqu’il l’a manquée soit parce qu’il était malade, soit parce qu’il y avait la grève des trains, soit parce son impossibilité ponctuelle ne dépendait en conscience aucunement de lui !! Si l’exercice de la psychanalyse se situait dans le rapport économique de l’échange, cette règle fondamentale (toute séance manquée est due) ne serait en aucune façon applicable et justifiable pratiquement. Mais spéculons que cette règle avec laquelle Freud était intraitable soit admise par tous les praticiens, ce qui est loin d’être le cas, supposons donc qu’elle s’applique réellement, supposons qu’elle constitue à elle seule une spécificité de la psychanalyse, cela signifierait avec évidence que l’exercice de la psychanalyse s’oppose avec force aux lois du marché de l’économie libérale, qu’elle pense et qu’elle applique d’autres lois, celles probablement d’une économie psychique qui se moque bien de savoir si sa dépense d’énergie va pouvoir produire ou non une plus-value à court terme si ce n’est dans l’immédiateté de sa production. Ce principe d’une autre économie, qui prévaut dans la conduite de la cure, je vous propose de le penser puis de l’appliquer pour notre Société. Il en va de sa survie en tant que telle, mais plus globalement, il y va de la survie de la pensée analytique et si on l’applique à d’autres disciplines de pensée, il en va de la survie de la pensée en général. Car, et comme nous l’avons dit tout à l’heure, si le parallèle peut se faire aujourd’hui entre une crise dite économique et une crise de la pensée, cela signifie que de plus en plus, on met sur un même plan de production et de rentabilité l’économie de l’échange et la pensée. Or la pensée ne s’échange contre rien d’autre qu’une autre pensée, elle ne se paye pas, ne se rémunère pas, ne s’échange pas, elle se donne et en se donnant elle se confronte, vit ou meurt, elle ne se vend pas, elle se diffuse ou non, et ses moyens de diffusion ne peuvent se penser en dehors de la logique qui fait qu’elle germe. Peut-être alors prend-elle le risque de mettre du temps à se faire entendre, à résonner au-delà des apparences de diffusion et de distribution qui inondent le marché de livres accessibles qui peuvent se ranger au moindre coût. Nietzsche, vous vous en souvenez, disait qu’il fallait jeter ses livres après les avoir lus tout comme Lacan parlait de poubellication concernant ses Écrits, se méfiant tous deux, et à juste titre, d’une diffusion qui n’entretiendrait rien d’autre que la conservation d’une pensée au profit de sa circulation. La pensée, comme les idées, si nous voulons qu’elles produisent « des petites révolutions », il faudrait en garantir la circulation, la mise en mouvement avant toutes publications qui en archiveraient la mouvance, qui l’immobiliseraient. La pensée ne peut circuler si elle est monopolisée par un système de distribution ou par une volonté testamentaire. Dans ce cas, c’est sa mort programmée qui s’annonce.

Qu’est-ce que ceci veut dire concrètement pour nous ? Eh bien il me semble que notre économie de fonctionnement devrait pouvoir s’autonomiser des principes qui régissent les lois de fonctionnement de l’économie libérale ou de sa libéralisation appliquée à une association telle que la nôtre. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable que l’exercice de notre pensée et de nos actions qui tentent de la produire et de la faire circuler (autrement dit de la dépenser) soit entièrement dépendant du nombre croissant ou décroissant de nos adhérents, du nombre de participants qui s’inscrivent à nos manifestations publiques ou du chiffre d’affaire généré par la vente de nos publications. Ceci ne veut pas dire que de tout ceci il ne faudrait pas s’en soucier, le penser ou analyser les manifestations qui vont dans un sens ou dans un autre. Ceci veut dire qu’il ne faudrait pas que notre économie psychique apte à générer de l’énergie désirante puisse dépendre de l’économie matérielle concrète qui en découlerait automatiquement. C’est un peu ce que j’explique à mes patients qui parfois me disent que leur économie matérielle ne peut pas suivre les manifestations de leur économie psychique, m’exprimant ainsi le conflit inévitable entre les deux. Si ces patients n’arrivent pas à se convaincre qu’ils peuvent ne pas dépendre uniquement de leur économie matérielle ou plus exactement que c’est un rapport inversé qu’il faut arriver à établir, il en résulte qu’une cure analytique est perçue comme possible en fonction des moyens de production de son acteur. Or c’est faux !! Nous le savons tous. Il nous faut nous libérer de cette idée reçue et trop souvent répandue, et mettre l’activité désirante au service de la vie et non d’un processus comptable qui ne cesse de la menacer.

J’adhère donc ici, en vous demandant d’en adopter le principe, à l’idée fondatrice de Bataille, à qui Lacan doit tant, que l’acquisition et la production restent secondaires par rapport à la dépense. « L’idée d’un monde paisible et conforme à ses comptes, qui serait commandé par la nécessité primordiale d’acquérir et de conserver, n’est qu’une illusion commode, alors que le monde où nous vivons est voué à la perte et que la survie même de nos sociétés n’est possible qu’au prix de dépenses improductives considérables et croissantes. »

Produire oui, mais pour dépenser. Produire donc de l’improductif ou dépenser pour des résultats aléatoires non quantifiables, non standardisés, non directement productifs. Comme la cure peut le faire en mettant l’activité désirante au service de la vie qui, en se dépensant, échappe aux lois du marché qui ne cessent de vouloir la canaliser dans leurs normativités. Produire pour générer de la dépense et non pour l’économiser ou tenter de l’éviter. Ceci va vous paraître bien excessif, mais je vous le demande : que serait la pensée sans excès ? Que serait la philosophie sans excès ? Que serait la psychanalyse si ses axiomes n’avaient pas paru excessifs à l’époque où seul Freud les défendait ? Souvenez-vous de l’apparition de la sexualité infantile et du scandale que cela provoqua et provoque toujours chez les détenteurs de la raison. C’en est à ce point excessif que Michel Onfray qualifie Freud de gourou coupable selon lui d’entretenir une pensée magique comme au temps des sorciers. L’ambiguïté scientifique de la démarche de Freud à placer la psychanalyse dans le domaine de la raison en conteste néanmoins ses fondements. Qu’est-ce que la raison depuis Freud et après Lacan ? L’inconscient, sa spéculation, sa mise en perspective dans l’ordre d’une pensée qui se voudrait apte à l’entendre en déjoue d’entrée l’ordre des limites, l’ordre des raisons. Le postulat même d’inconscient est excessif et vient abolir les frontières mêmes de sa compréhension. Toute la question du savoir s’en trouve bouleversée et lorsque nous tentons d’expliquer que ce qui se passe dans une cure analytique se produit à l’insu de celui qui tente d’en maitriser les effets, nous sommes pour la pensée traditionnelle dans le plus grand des excès. Nous savons que ces excès après Freud ont fait retour de manière imprévue. À force de rationaliser sa pensée, de la rendre conforme aux normes d’une science naissante, le mouvement freudien de l’après-guerre en a perdu sa lettre. Jacques Lacan, de manière excessive a rejoué la partie de Freud et il a bien fait, car sans ces excès, la partie risquait bien de se terminer. Il n’y a pas grand-chose d’écrit sur les positions « sacrificielles » de ces deux hommes qui pourtant ont engagé leur vie entière au nom de la psychanalyse pour que ses excès puissent s’entendre. Les institutions analytiques après la dissolution de l’École freudienne se sont alors enfermées dans la conservation d’une théorie et d’une pratique sans en promouvoir, à mon sens, l’essentiel, soit la formidable ouverture sur le monde qu’elle proposait. Elles se sont refermées sur elles-mêmes dans une économie de la conservation et non de la dépense. Peut-être aujourd’hui, l’espoir peut renaître car il y aurait comme un déficit du système soigneusement mis en place, déficit provoqué par l’État qui, en voulant « réglementer » le soin psychique, s’invite dans une partie dans laquelle il n’était pourtant pas convié. Le mal est fait et il nous faudra bien un jour ou l’autre nous confronter à cette question : « qu’est-ce qu’une association de psychanalystes ? », comment peut-on la définir, comment la reconnaît-on et selon quels critères ? Avant même que cette question nous soit posée par l’intermédiaire de l’article 52, je m’oppose à toutes les tentatives d’une normalisation de la pensée analytique dont les concepts et les fiches de lecture seraient par avance publiés dans des dictionnaires pour en codifier le sens. Le sens, vous le savez, ne se donne jamais parce qu’il se dissémine dans tous les sens, et s’il se donne, il se donne toujours avec excès. Comme le dit donc Bataille dont je déploie quelque peu ici la pensée, il y a toujours excès parce que le rayonnement solaire donne sans jamais recevoir et que l’énergie ainsi accumulée ne peut qu’être gaspillée dans l’exubérance et l’ébullition.

Je vous demande donc d’adopter le principe d’une économie nouvelle pour notre association, soit de promouvoir et de générer des excès pour générer de la dépense et de l’activité psychique, qui parce que toujours en excès ne devrait pas se penser ou se rabattre dans et par les lois de l’économie classique par lesquelles se pose toujours la question du profit et de la rentabilité. Ceci doit valoir et s’appliquer pour notre groupe quel que soit le nombre de ses acteurs. Les petites révolutions, vous le savez bien, se génèrent toujours par l’intimité de quelques uns et non, comme on le croit souvent, par le plus grand nombre.

Francis Capron