De l'hospitalité


L’hospitalité, qu’elle soit donnée ou reçue, suppose un lieu. Lieu de l’hôte, lieu de l’autre, lieu sacré au lieu de l’Autre toujours en défaut, toujours marqué du défaut, d’une certaine absence (personne n’est là pour répondre d’autrui, ni de moi-même, mais, l’un comme l’autre, nous nous fondons dans ce rapport au tiers que constitue le langage). Est-ce à partir de cette absence, de ce « silence » que s’accomplit l’accueil hospitalier ? En serait-ce la condition, intime, voire secrète, celle d’une certaine intériorité, d’une certaine intimité que Levinas rassemblera sous l’effigie du féminin, de la Femme, condition du recueillement, de la Maison et de l’habitation ? Si l’hospitalité se « donne », elle se reçoit en se donnant, on ne peut véritablement l’habiter qu’à être habité par elle, qu’à se convaincre d’être « chez soi » chez l’autre, toujours étranger en soi-même. Ainsi, comme l’écrit Derrida1, l’invitant devient-il l’invité de l’invité, l’hôte devient-il l’hôte de l’hôte, l’un et l’autre étant alors dans un rapport paradoxal et complexe d’appropriation et d’expropriation, dans un rapport d’altération réciproque dans lequel chacun serait tout à la fois hôte et otage de l’autre. Telle serait peut-être la condition de l’aporie désignée sous le vocable d’ « l’hospitalité inconditionnelle », condition plus langagière que légalement instituée, l’hospitalité, par l’altération qu’elle provoque dans les rapports entre les hôtes, marquant de fait, un certain rapport à la langue, soulignant un fait de langue tenant lieu du symbolique et de la division du sujet. « Si on peut se sentir chez soi dans la langue et se considérer (en même temps) l’hôte de la langue, c’est qu’il y a une division essentielle à la démocratie comme il y a une division essentielle du sujet.2 » Si la langue fait lieu, c’est qu’elle est d’abord la langue de l’autre au sein de laquelle chacun s’approprie sa propre grammaire pour échapper à l’emprise de son « origine ». « L’hospitalité de la langue s’étend à la mort qui dénombre nos mots » disait alors Jabès3. La langue comme l’hospitalité, peut-être n’existeraient-elles vivantes, que véritablement déliées, déliées de l’illusion du « propre », du « religieux », de « l’unique », d’une langue « une », d’une « inconditionnalité » sans conditions préalables à la structure qui en accueillerait la possibilité même, que celles-ci soient politiques ou délimitant  la souveraineté absolue d’une position subjective ?

« L’obsession » de « l’hospitalité inconditionnelle » vient donc hanter naturellement le discours et la pratique analytique et ce depuis que Freud est venu démontrer que l’inconscient est la demeure de l’esprit. Si l’inconscient est l’ombre de la conscience, sa nuit, comme aurait pu le dire Nietzsche, il offre à penser comme l’hospitalité, ce rapport ambivalent au lieu, d’un lieu n’appartenant ni à l’invitant, ni à l’invité, mais au geste, au mouvement par lequel l’un donne accueil à l’autre. « Où ? » serait donc la question première, celle par laquelle le sujet advient4. Elle conforterait la proposition lacanienne définissant la position de l’analyste en lui faisant partager quelque chose de sa position avec la position féminine.


Francis Capron

1. Jacques Derrida, De l’hospitalité, Calmann-Lévy, 1997.
2. René Major, Je veux être chez moi, in La démocratie en cruauté, Galillée, 2003.
3. E. Jabès, Le livre de l’hospitalité, Gallimard,1991.
4. Voir à ce sujet, Anne Dufourmantelle, De l’hospitalité, op. cit.


Liste des intervenants


  • Laurent LEMOINE : « L'hospitalité de l'analyste : s'il n'y a d'Autre de l'Autre, peut-il exister l'hôte de l'hôte ? »
  • Marie GAILLE : « La condition de sans-patrie »
  • Anne DUFOURMANTELLE : « L'hospitalité, entre compassion et violence »
  • Jean COOREN : « Quand il n'y a plus de lieu où l'autre peut s'inviter. (à propos du drame palestinien) »
  • Albert LEVY : « L'accueil de l'autre : hospitalité et espace public »



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