Plus de SECRET Plus de VERITE


Secret et vérité sont deux mots, apparemment, qui s’appellent et se convoquent l’un l’autre en semblant s’opposer voire se contredire. « Dire toute la vérité » serait parler sans secrets, mais « tenir au secret » serait laisser dans l’ombre une vérité non encore mise à nue. Il existerait ainsi une vérité secrète comme, croit-on, un secret de la vérité, secret et vérité reflétant l’un et l’autre ,respectivement, leur face cachée. La question qui nous intéresse ici est de nature plus paradoxale, au-delà en quelque sorte de l’idée reçue, celle que la vérité serait affectée d’un secret ou d’avance comprise par cette conception du langage qui cherche toujours à l’arracher à sa nuit. La vérité pourrait-elle se dire « toute » et le secret pourrait-il céder simplement par l’aveu ou la confession ? Gagnerait-on Plus en vérité en levant un secret ? Le Plus de vérité amoindrirait-t-il l’intensité du secret ? Vérité et secret ne seraient-ils pas convoqués tous les deux à la même impossibilité à dire ?

« Plus de secret Plus de vérité », tel sera notre titre, inspiré il est vrai, du « plus de secret, plus de secret » de Derrida. Dans notre titre, secret et vérité se redoublent ou se dédoublent en se faisant face à une lettre près, suivant la façon ou la manière de dire ou de faire entendre le s de plus. En quoi, cette question de la lettre, ici en plus ou en moins dans ce qui se prononcerait, vient-elle rencontrer les préoccupations de la psychanalyse en croisant celles de la littérature ?

Lacan, dans son séminaire sur la lettre volée ( purloined letter) nous avait déjà invités à ce rapprochement (entre psychanalyse et littérature) en nous commentant le texte de Poe. L’illustration littéraire qui servait de base à sa démonstration avait pour but de démontrer « que la vérité habite la fiction » comme le maître habite la maison. « C’est cette vérité, qui rend possible l’existence de la fiction ». Ce que nous offrirait l’exercice littéraire, c’est un message codé, à déchiffrer comme un secret.

C’est peut-être par ce rapprochement que le lien entre littérature et psychanalyse serait le plus prégnant par la possible expression d’une lettre restée en souffrance. Elles offriraient à ceux qui s’y exposent le pouvoir de « tout dire » en croyant ne rien dissimuler comme celui de « tout cacher » en s’astreignant à dire « tout ce qui vient à l’esprit ». Manque à savoir ou savoir partiel sont ici à l’œuvre comme le pointait déjà Spinoza, le rapport entre secret et vérité ne pouvant s’interroger qu’au plus juste du rapport, rapport à soi, à l’autre, à l’Autre, en soi ou hors de soi, rapports dans lesquels la question du transfert sera bien évidemment à interroger.

Enfin, nous ne saurions aborder les questions que soulève le rapport paradoxal qu’entretiennent secret et vérité sans souligner les liens étroits qu’ils tissent a contrario du discours ambiant affichant les impératifs de la transparence de la communication ( le parler vrai) et la valorisation du quantitatif. Ces impératifs d’une culture de masse tentent en effet d’assujettir l’espace privé à l’obligation devenue publique de tout dire, de tout montrer, de montrer le tout du sujet conçu comme un tout et comme résultat d’une sommation. Cet enfermement du sujet parlant et désirant est alors produit par une logique totalitaire du discours public, intériorisant plus que jamais une nouvelle forme de terrorisme immanent dans une sphère qui n’a plus de « privée » que le nom. Quelle place alors pourrait prendre l’exercice d’une psychanalyse qui comme la littérature cultiverait la nécessité paradoxale d’un « plus de secret plus de vérité » dans le lien que secret et vérité ont au sacré, ou pour mieux le dire au Saint ( le séparé-proche), étant résolument étrangers par le discours et par l’écriture à l’ordre d’une contrainte qui exclut systématiquement le refoulé, le dénié ou le forclos ?

Francis Capron

Liste des intervenants


  • Sophie WAHNICH : « XVIIIe siècle et Révolution française, le rêve d’une politique de la vérité. »
  • Anne DUFOURMANTELLE : « Espace psychique et vérité, que pouvons-nous ( en ) supporter ? »
  • Francis CAPRON : « Mélancolie et mémoire : l’objet secret d’une survivance »
  • Raphaël DRAÏ : « Le secret du secret : approches juridiques, théologiques et psychanalytiques. »
  • Alain MADELEINE-PERDRILLAT : « Peut-on parler de vérité en Art ? »


Les actes des Journées de Tours 2008 ainsi que le DVD sont disponibles (voir la rubrique publications).