Depuis Lacan, quelle direction pour la cure ?


Ce questionnement était déjà actuel dans les années 1960, date à laquelle Jacques Lacan publiait dans les Écrits, sous la reliure du « Séminaire sur “La lettre volée” », « La direction de la cure et les principes de son pouvoir ». Le ton de Lacan était résolument polémique, le style et la forme de son discours augurant de quelque bouleversement dans la littérature analytique. L’adversaire déclaré était alors l’héritière de la lettre freudienne, Marie Bonaparte, soupçonnée de détournement, pour promouvoir un retour à Freud de la lettre dérobée. « Prendre son désir à la lettre » s’instituait en titre du dernier chapitre du texte sur « La direction de la cure », impératif se révélant indissociable d’une logique du signifiant et d’une « science de la lettre » qui élaboraient une théorie du sujet et définissaient une nouvelle donne dans la théorie du transfert.

Peu d’analyses sont venues nourrir le débat réel que soulevait le discours de Lacan. Une lecture attentive de ces textes, indissociables les uns des autres, fut faite par quelques philosophes dont Jacques Derrida qui remarquait que ce nouveau discours, trouvant ses fondements dans l’idéalité du signifiant et de la vérité comme dévoilement, était d’un classicisme extrême tout en reconnaissant certaines avancées dans la lecture analytique des textes littéraires. Autant dire que cette œuvre théorique ne faisait que réitérer le geste classique de la métaphysique occidentale. Peu de psychanalystes, à l’époque, ont entendu dans le questionnement derridien l’ouverture d’un débat qui impliquait de nombreuses conséquences cliniques, théoriques et institutionnelles pour la psychanalyse. On fit corps et masse autour du nom de Lacan pour préserver de toute atteinte l’intégrité d’une pratique doctrinale qui ne cessait de faire des adeptes. C’était l’heure de gloire de l’École freudienne.

Qu’en est-il maintenant, vingt-cinq ans après la mort de Lacan ? Est-il temps de relancer ce débat qui n’eut pas lieu ? Les prises de position de l’ensemble des institutions post-lacaniennes concernant la réglementation du statut de psychothérapeute ne démontrent-elles pas l’opportunité de penser cette maladie auto-immune dont paraît bien souffrir la psychanalyse ? La plupart des psychanalystes ont-ils oublié la teneur et les potentialités d’un débat qui pouvait porter la psychanalyse au-delà des espérances d’un Freud, sceptique sur la survie de son nom ou souhaitant que celui-ci s’efface pour sauvegarder la pratique psychanalytique comme ultime résistance individuelle et collective à l’oppression totalisante ?

Peut-être l’heure est-elle venue de rouvrir un débat pouvant faire revivre la pensée psychanalytique et qui traverse cet autre débat qu’engagea Lacan avec les philosophes.

À tenter de le rouvrir, peut-être nous apercevrons-nous qu’il engage au-delà des concepts philosophiques une direction, un sens à la cure psychanalytique qui manque aujourd’hui cruellement à sa place. Il s’agira bien ici de refaire le chemin, de retrouver la trace des frayages de ceux qui, avant nous, en ont ouvert la voie.

Nous ne remercierons jamais assez les auteurs de cet ouvrage collectif pour l’excellence de leurs travaux et pour le soin qu’ils mirent à la réalisation de cette publication. Nos remerciements vont aussi à Jean-Paul Abribat pour son amicale participation aux Journées de Tours 2005.

Francis Capron
Président de la Société Psychanalytique de Tours

Liste des intervenants

  • Francis HOFSTEIN : « Aujourd’hui et naguère ou la lettre égarée. »
  • Michael TURNHEIM : « L’œuvre de Derrida et la pratique psychanalytique. »
  • Thierry BEAUJIN : « Avant toute direction, la raison d’être ? »
  • Pierre GINESY : « Du Phlegethon aux Lumières, brève histoire d’un court-circuit hydroélectrique »
  • René MAJOR : « Depuis Lacan, une autre conception de la « cure »
  • Chantal TALAGRAND : « De la métaphore à l’oxymore, ou d’une lettre à l’autre »
  • Francis CAPRON : « La garde de la lettre fait-elle résistance à l’exercice de la psychanalyse ? »
  • Jean Paul ABRIBAT : « De la pastorale analytique et de l’anti psychanalyse »
  • Franz KALTENBECK : « D’une rencontre manquée : raisons, symptômes, ressorts. »


Les actes des Journées de Tours 2005 ainsi que le DVD sont disponibles (voir la rubrique publications)