Nous commençons notre rencontre par la lecture du texte rendant compte des mots prononcés par le Rabbin Delphine Horvilleur, le 15 janvier 2015, lors des funérailles d’Elsa Cayat, psychiatre psychanalyste assassinée lors de la tuerie perpétrée le 11 janvier 2015 à la rédaction du journal Charlie Hebdo.

Nous avons besoin suite à ces événements de parler ensemble de ce qui s’est passé.
En effet, nous restons avec une impression que nos pères ont été assassinés, nous avons le sentiment d’une violence, comme si quelque-chose de profond avait été attaqué en nous.
Le sentiment aussi qu’il s’est agi là d’une tentative d’assassinat de la pensée. Charlie Hebdo c’était d’abord de la pensée, ce n’est pas pour rien d’ailleurs, qu’ils accueillaient dans leurs conférences de rédaction un économiste (Bernard Maris) et une psychanalyste (Elsa Cayat). D’ailleurs il faut noter que la seule femme assassinée, Elsa Cayat, était Juive. Il y a un gouffre vertigineux entre la bêtise qui assassine et ce monde du raffinement intelligent qu’est Charlie Hebdo.

De même, nous avons éprouvé un malaise à la suite du rassemblement du dimanche 15 janvier. Certes, il y a bien eu un trait identificatoire « Je suis Charlie », qui a permis ce rassemblement hors du commun. Pourtant, il nous semble que ce mouvement républicain est venu exclure quelque-chose. Il aurait été vraiment souhaitable que les français musulmans soient présents en plus grand nombre en ce rassemblement, qu’ils puissent également s’identifier au « Je suis Charlie ». Or, ça n’a pas été le cas. Résulte donc de cette marche du dimanche une inquiétude.

Ainsi, on pourrait parler d’un défilé républicain sans la République.

Nous essayons alors de penser l’absence de ces français musulmans :
Une partie de la population semble là réclamer justice à une autre. Une partie de la population française qui se sentirait exclue du système, considérant que ce système est décadent, corrompu et non vertueux. C’est là le processus de la guerre civile.
Pour comprendre ce processus, peut-être faut-il remonter plus loin dans l’histoire, jusqu’aux guerres Ottomanes, ou plus récemment évoquer l’attitude politique de Georges W. Bush en Afghanistan.
Il est également indéniable que le libéralisme ne crée certainement pas de la vertu, ni de la justice sociale…
Peut-être aussi, cette absence des personnes de confession musulmane lors des rassemblements, provient-elle d’une ambivalence entre le désir et la peur par rapport au fait d’être vu à cette manifestation ?
N’y a t-il pas alors un règne de la terreur au sein de la communauté musulmane ? Une espèce de diktat qui pèserait de façon diffuse lorsque des manquements à la pratique religieuse seraient constatés ?
On peut aussi constater un symptôme dans le fait de ne pas se reconnaître ou se sentir français. D’ailleurs, l’expression « Musulmans de France » pose en elle-même et déjà un problème.
Car, pour s’intégrer au cœur de ce qu’est la laïcité républicaine, il faudrait apprendre la langue, passer par la raideur de la langue, disparaître, en quelque sorte derrière ces principes de la République française, dont la spécificité est la laïcité. Or, il semble que ce désir d’intégration ne soit pas compatible avec la religion musulmane. C’est là que l’État échoue, lorsque passant par la démagogie, il n’applique plus les principes républicains depuis déjà longtemps.

Si l’on tente d’analyser tout cela d’un point de vue plus spécifiquement psychanalytique, on peut se demander si ces assassins, enfants de la République, qui sont nés quand Cabu avait 40 ans, n’ont pas commis là un parricide. Ils tuent leurs parents, leurs aïeux. Ce serait là une autre dimension encore de cette question d’une sorte de guerre civile.
On pourrait poser l’hypothèse d’une carence des pères.
Peut-être les fils se sentiraient-ils humiliés d’une carence des pères. Ces derniers n’auraient pas su exister, lors de leur arrivée en France, en leur identité. Les pères auraient désiré se fondre dans le paysage français, alors même qu’ils avaient été humiliés par la France lors des conquêtes coloniales. Ces jeunes auraient alors maintenant des désirs de vengeance face à cette République française qu’ils ne reconnaissent pas. Cette sorte de vengeance passerait par le rejet des principes de la République, et celui en particulier de la laïcité, rejet accompagné d’un sursaut religieux.
Les fils exprimeraient ainsi une double irrévérence : à l’égard de leurs pères et à l’égard de la République. Ne se sentant redevables de personne, ils seraient hors-la loi du symbolique, cette loi se retrouvant alors à travers la loi religieuse.
Cette idée d’une double irrévérence est fondamentale. Elle peut même aller plus loin : ne plus rien devoir à personne est le signe d’un défaut du symbolique. Le religieux viendrait tenter de réparer cette faille mais en fait en la creusant.

Nous nous interrogeons enfin sur l’appellation du terme terrorisme. De quoi parle-t-on vraiment en employant ce mot ? Pourquoi ne pas plutôt parler, par exemple, d’Islamo-fascisme ?
Nous lisons pour nous éclairer, l’article du Monde diplomatique de Février 2004, dans lequel Jacques Derrida répond à la question Qu’est-ce que le terrorisme ? (Article consultable sur Internet en tapant sur les moteurs de recherche : « Terrorisme Derrida »).
Nous rappelons également ce qu’a dit Roland Barthe à propos du fascisme : il y a fascisme non pas lorsque l’on empêche de dire, mais lorsque l’on oblige à dire.

Nous terminons notre réflexion en interrogeant le voile.
Peut-on parler d’une érotique du voile ? Face à cette question, nous rappelons ce que dit Starobinsky à propos de Rousseau :
« La transparence fait l’obstacle ».
Cela renvoie à l’interrogation métaphysique du voile chez Jacques Derrida : Certes, soulever le voile pour voir ! Mais derrière le voile se reconstitue toujours et à nouveau le voile. Car, c’est ailleurs, en un hors-lieu que ça se passe. On ne verrait rien d‘autre, en soulevant le voile, que ce qui est voilé. Ce qu’on tenterait de dévoiler, ce que l’on cherche à voir est toujours ailleurs, renvoyé en un hors-lieux, en un impossible à jamais voilé.

À l’issue de toutes ces réflexions, nous décidons, en tant que Société Psychanalytique, de nous engager sur plusieurs points :
. Publier le texte du rabbin Delphine Horvilleur sur la première page du site de la Société Psychanalytique de Tours.
. Associer ce texte à un préambule.
. Rechercher un caricaturiste pour « croquer » nos débats. C’est-à-dire relever le défi de l’esprit de Charlie Hebdo selon lequel il faut rire pour créer un décalage, une faille afin de s’opposer à la terreur !