Francis Capron souhaiterait aborder, en cette nouvelle rencontre du groupe de recherche - et dernière de cette année - , deux points :

 

1) La Société Psychanalytique de Tours a tendance à perdre de son dynamisme. Il faudrait relancer ses activités afin d'en élargir le spectre. L'arrêt de l'organisation des Journées de Tours nous a contraint à une politique d'auto-conservation avec laquelle il nous faut rompre pour éviter ce que cette auto-conservation risque au mortifère.

2) On contaste un phénomène nouveau dans le nombre croissant d'installations dans le secteur du soin psychothérapeutique, associé à un problème de formation.

 

Certains de ces thérapeutes, nouvellement installés ont les qualifications requises contrairement à d'autres dont rien n'atteste qu'ils aient bénéficié d'une formation. Pourtant, dans les deux cas, on constate combien certains d'entre eux ne savent « rien sur rien », comme s'ils participaient alors d'un fantasme de « faire du soin thérapeutique », sans mesurer ce que cela engage pour eux comme pour les autres que sont les patients. « Ils n'ont pas froid aux autres », pourrait-on dire, au point de vouloir s'installer comme analyste, notamment, sans jamais être passés par l'épreuve de l'analyse et encore moins par la formation avec un didactien.

La formule de Lacan : « l'analyste ne s'autorise que de lui-même....et de quelques autres » laisse la voie à toutes les possibilités de légitimations, des moins exigeantes au plus scabreuses. Déjà du temps de Lacan la question de la passe n'était pas claire et a suscité bien des remous et scissions (Formation du quatrième groupe par François Perrier et Nathalie Zaltzman). Elle reste aujourd'hui en vigueur dans une forme plus ou moins orthodoxe dans l'ensemble des institutions analytiques sans qu'une réelle politique de formation des jeunes praticiens ne soit réellement mise en place. On entretient le corpus théorique en l'état sans vraiment innover ce que Freud appelait de ses voeux lorsqu'il pensait la formation des analystes.

 

Or via le site de La Société Psychanalytique de Tours, nous avons régulièrement des demandes de formation. Des demandes qui se formulent ainsi : « comment faire pour devenir analyste? » Compte tenu du fait que l'on voit arriver de partout des gens qui pratiquent déjà le soin thérapeutique et qui sont en demande de formation pratique, ne pourrait-on pas tenter de répondre, nous, à La Société Psychanalytique de Tours, à ces demandes-là? Cela d'autant plus qu'à travers cette question de la formation se pose une question de fond, soulevée notamment au regard des séminaires proposés dans l'ensemble des institutions : aucun ou peu d'entre eux ne prennent la mesure de l'importance qu'il faudrait donner à la philosophie. Les réflexions, la pensée, les hypothèses de travail que propose la philosophie, à l'expérience, permettent particulièrement de guider la démarche de formation des analystes. Sa spécificité, par rapport à d'autres disciplines, est d'expérimenter l'aporie dans sa démarche même, c'est-à-dire le renoncement à avoir une réponse à chaque question envisagée et subséquemment à rencontrer l'expérience qu'est le cheminement ne menant nulle part. En cela elle représenterait comme une mise en scène du processus analytique, une confrontation in vivo  de la pensée, du discours aux péripéties de l'errance. Or, nous, à La Société Psychanalytique de Tours, nous revendiquons et portons haut le lien entre philosophie et psychanalyse. Les institutions analytiques, contrairement à ce que nous tentons de proposer à La Société Psychanalytique de Tours, répondent seulement à une transmission de la doxa analytique et plus particulièrement lacanienne. Elles fonctionnent selon une hiérarchie faite de pouvoir.

La Société Psychanalytique de Tours a été, elle, créée en pleine tourmente de ce que le projet de l'amendement Accoyer avait soulevé chez les psychanalystes, s'opposant fortement pour certains, à une réglementation des pratiques de l'analyse imposée par le pouvoir étatique.

Pour penser autrement cette question du pouvoir à l'oeuvre dans certaines institutions analytiques, on peut se référer aux aux travaux de Serge Leclaire, clinicien et psychanalyste. À son sujet et à propos de la publication de son ouvrage, Écrits pour la psychanalyse - Demeures de l'ailleurs (1954 - 1993), on peut lire dans le catalogue de son éditeur Seuil, qu'il « voulait penser la psychanalyse partout où se trouvent les enjeux analytiques et là où des enjeux culturels peuvent interroger les limites de la psychanalyse. Toutes ces initiatives furent très controversées dans les milieux analytiques, mais participent pour lui d'un moyen d'arracher le sujet à ses assujettissements avec pour seule arme : " le sabre en papier de la parole et de l'interprétation" (...).»

 

Nous nous interrogeons alors sur ce qui prévaut au désir de devenir analyste. Cela d'autant plus que les demandes de soin renvoient de plus en plus à celles d'une quête existentielle. Comment envisager la profondeur de cette demande de la part du sujet qui vient consulter, mais aussi la perspective d'une traversée longue et lente, et les questions complexes d'un désir pensé et encore conceptualisé à partir du manque, du vide, du rien.

Par là se profile un problème essentiel, celui du savoir. Freud lui même imaginait un institut de formation analytique, dispensant des savoirs hétéroclites. C'est ce qui prévalut à la fondation par René Major et Francis Capron de l'Institut des Hautes Études en psychanalyse.

 

Il est fort utile de lire à ce sujet, un extrait du texte fondateur de cet Institut, texte écrit par René Major : « L'Institut des Hautes Études en Psychanalyse s'inscrit dans la suite du souci formulé par Freud dans la question de l'analyse laïque de voir la psychanalyse, en tant que discipline, se doter des moyens de formations intellectuelles les plus appropriées, en incluant l'étude des différentes sciences de la nature, des arts, des humanités et des systèmes de pensée qui concourent à la connaissance de la psyché. Il a pour ambition de donner son plein statut à la psychanalyse en la dégageant des aléas de tous ordres qui l'assimilent à d'autres pratiques ou rendent ses enseignements dépendants de la portion congrue qui leur est consentie en divers lieux académiques. (...) Au regard des questions pressantes qui se posent à la psychanalyse concernant à la fois la laïcité et les multiples champs de son extension qui la questionnent en retour, il est urgent de penser et de réaliser, en vue de la formation académique des futurs psychanalystes, ce que Freud appelait de ses voeux dès 1927 sous le nom  de Psychoanalytische Hochschulen. Ces " Écoles supérieures" ou "Hautes Écoles" psychanalytiques devraient avoir des programmes d'enseignement et de recherche qui associent la transmission du savoir psychanalytique, lui-même remis en cause par l'expérience de l'analyse, des connaissances des sciences de la vie, de la philosophie, de la linguistique, de la philologie, de la littérature, de la sociologie, de l'anthropologie, de la mythologie, de l'histoire de l'art, des religions et des civilisations. Constamment tenue informée de ces disciplines et de leur évolution, la psychanalyse se tient avec elle en rapport de questionnement réciproque. »

 

Or, s'il y a à l'horizon de ces transmissions du savoir, un rapport de questionnement réciproque et constant avec la psychanalyse, peut-être est-ce parce qu'il convient de distinguer, comme le précisait Lacan, le savoir intellectuel, de la vérité. Le savoir renvoyant à des connaissances, la vérité, elle, relevant d'un insu puisqu'elle se dit dans le symptôme, le lapsus ou la méprise. Touefois cette distinction entre savoir et vérité de l'inconscient ne doit pas autoriser les différents praticiens à cultiver l'ignorance.

 

Quoi qu'il en soit, devenir analyse ne se décrète pas.

 

Ce désir de devenir analyste relève finalement d'une responsabilité vis-à-vis de son propre inconscient. De même, ne pourrait-on pas contredire Lacan et penser le désir non pas à partir du vide, du manque ou du rien, mais plutôt à partir du plein et de l'expérience? Pour preuve, le nourrisson à la naissance n'est-il pas dans un rapport à l'Autre à partir d'un supposé plein?

 

Enfin, nest-il pas intéressant que préside au désir de l'analyste une force de l'illusion à vouloir soigner, apporter du bien ou autre?

 

Il faudrait finalement penser une responsabilité de l'analyste ne passant certainement pas par un désir de reconnaissance sociale, fantasme qui en réalité ne s'est jamais fort heureusement concrétisé, mais par une reconnaissance de la part des pairs, qui elle, malheureusement n'existe plus.

 

Il y aurait ainsi une responsabilité à ré-envisager cette reconnaissance-là. Il s'agit aussi et surtout d'une responsabilité politique.

 

Ce jour, et au regard de ces questionnements de fond, nous décidons, nous, La Société Psychanalytique de Tours, de proposer pour l'année prochaine :

 

- La poursuite du séminaire de Francis Capron Psychanalyse et déconstruction donné au sein d'Espace Analytique à Paris et de La Société Psychanalytique de Tours à Tours. Ce séminaire sera ouvert au public.

 

- La création d'un groupe d'analyse de la pratique animé par Francis Capron. Ce groupe s'adressera à de nouveaux praticiens (Psychologues, Psychothérapeutes, Psychanalystes) et fonctionnera selon la méthodologie de l'Inter-contrôle dans laquelle chacun(e) sera invité(e) à exposer, à son tour, une prise en charge déjà entamée, ou d'entretiens préliminaires, afin de problématiser une question.

 

- La poursuite du groupe de lecture autour des textes de Freud sur l'Introduction à la psychanalyse animé par Chantal Wittenberg.

Un nouveau groupe de travail verra le jour en janvier 2017 autour d'un thème à préciser mais qui tentera d'établir les liens entre psychanalyse et littérature. Ce nouveau groupe sera animé conjointement par Chantal Wittenberg et Stéphanie Gross.

 

- La création d'un groupe de recherche animé par Nicole Fontaine autour du thème L'Inconscient de la grammaire française. Les modalités seront précisées ultérieurement.

 

- La création d'un groupe de lecture animé par Catherine Kauffmann et Isabelle Riffault qui aura pour thème une Introduction à la lecture de Jacques Derrida.

 

- La poursuite du projet « Une journée avec...». Hélène Cixous pourrait être notre première invitée. Il est décidé que l'organisation de cette journee tenterait de se faire de façon conjointe avec Espace Analytique.