Il est proposé à Francis Capron d’organiser des événements à Espace Analytique à Paris. Suite à cela il lui a semblé essentiel de soumettre cette proposition à la Société Psychanalytique de Tours afin de savoir si l’on pourrait déplacer « Une journée avec… » Hélène Cixous, de Tours vers Paris en collaboration avec Espace analytique. Ce serait peut-être alors plus facile de faire venir Hélène Cixous à Paris.

Il s’agirait aussi de continuer à faire vaciller la psychanalyse via une approche philosophique, cela dans la mesure où les propositions actuelles d’Espace Analytique sont très classiques. Cela permettrait également qu’il y ait une audience plus large qu’à Tours.

 

Pourtant, certains d’entre nous regrettent que cela implique une désaffection de notre travail et de nos options sur la place de Tours. Ce qui a fondé les débuts de la Société Psychanalytique de Tours, c’était précisément d’éviter le désert de Tours sur le plan des propositions de travail. Ne serait-ce pas alors démissionner de cette volonté, ne plus être fidèle à nous-même, c’est-à-dire à cet objectif de départ ?

Peut-être pourrait-on alors préciser si cela se faisait, que c’est la Société Psychanalytique de Tours qui se transplante à Paris, qui s’associe à l’Espace Analytique et l’annoncer aussi à Tours de cette façon.

 

Est reposée ensuite la sempiternelle question du groupe « qui partirait dans tous les sens » !

Mais…Priver le lecteur de sens, tel est ce qui fascine Lacan dans Joyce !

Le hors-sens a un intérêt tout aussi grand que le sens pour le sens, il sert sans doute à trouver un autre souffle pour une autre position dans le monde. C’est pourquoi Lacan aussi voulait être lu dans son illisibilité. Aujourd’hui on ne nous donne à lire que du lisible. De même cela renvoie à l’illusion de croire que l’on peut savoir simplement en lisant, faire croire notamment que Lacan est lisible. Il y aurait l’énigme Lacan et une réponse qui pourrait être donnée à cette énigme. De là il y aurait ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui peuvent lire Joyce et ceux qui ne le peuvent pas etc… Quand on lit un texte, on suppose qu’à l’intérieur il y a un savoir qu’il faudrait mettre à nu. On peut supposer un savoir à l’auteur, mais en fait il n’est pas là ! Avec Joyce par exemple, on peut seulement apercevoir l’effet contingence, ce qui s’est passé dans sa vie.

 

Or Lacan, lorsqu’il lit n’intègre jamais les effets contingence, le hors-texte qui motive l’écriture, jusqu’à ce que précisément avec Joyce, il commence à s’y intéresser. À ce propos on pourra se reporter au séminaire de Francis Capron intitulé : Déconstruction et psychanalyse – 2015-2016, dans lequel il montre la façon dont Lacan est amené à proclamer l’illisibilité de Joyce. Voir plus particulièrement la séance du séminaire du 4 avril 2016, où Francis Capron affirme : « Avant de faire quelques remarques sur le statut de cet imaginaire chez Lacan, de cet imaginaire Joycien, je voudrais tout de suite éclairer le chemin de notre recherche. Ce qui ici nous intéresse, c’est que ce long mais nécessaire détour par la narration de la raclée décrite par Joyce dans le « Portrait de l’artiste en jeune homme » amène Lacan à affirmer ou à proclamer l’illisibilité de Joyce et c’est cette illisibilité qui nous intéresse ce soir, cette énigme qu’est l’illisibilité de Joyce. « Pourquoi Joyce est-il illisible ? proclame Lacan après sa démonstration d’un imaginaire réclamant son indépendance chez Joyce, pourquoi Joyce est-il illisible, c’est peut-être parce qu’il n’évoque en nous aucune sympathie et par le fait qu’il a un ego d’une tout autre nature. Ce qu’il nous faudra interroger c’est donc l’association que fait Lacan entre le fait que Joyce ne puisse tenir son corps, le dégoût qu’il aurait de son corps après la fameuse raclée, et l’illisibilité, le décret d’illisibilité de Joyce comme si l’illisibilité avait à voir avec cet imaginaire qui ne demande qu’à foutre le camp. »

 

De même, Derrida, contre Lacan, affirme dans Le facteur de la vérité que la vérité ne peut habiter la fiction. Nous pouvons rappeler ce qu’il en dit (Citation reprise d’un compte rendu de la Société Psychanalytique de Tours du 21 septembre 2015) :

Selon Derrida, il faut compter dans le texte « avec tout ce qui reste irréductible à la parole, au dit et au vouloir-dire : la mé-garde irréductible, le vol sans retour, la destructibilité, la divisibilité, le manque à sa destination (définitivement rebelle à la destination du manque : non-vérité invérifiable) 1. » Mais surtout Derrida l’affirme encore plus clairement ainsi : « Quand Lacan rappelle « cette passion de dévoiler qui a un objet : la vérité », et que l’analyste « reste avant tout le maître de la vérité », c’est toujours pour lier la vérité au pouvoir de la parole 2. »

 

Certes, mais cela renvoie aussi au problème de l’action ! Car on ne peut agir, concrétiser une pensée que lorsque celle ci est claire. Si on en reste à l’imprévu, au langage dans sa fonction poétique, on empêche une transmission.

Pour répondre à cette objection, nous pouvons montrer combien Derrida pointe une force profonde de la littérature et de la fonction poétique du texte, de son hors-sens, en ce qu’elle permet, par la division du sujet induite dans la fiction littéraire, une singularité universalisable. Lorsque je témoigne, affirme Derrida – à propos de l’œuvre de Blanchot L’instant de ma mort dans laquelle Blanchot à travers une fiction littéraire « témoigne » : « 20 juillet. Il y a cinquante ans, je connus le bonheur d’être presque fusillé » -, lorsque je témoigne donc affirme Derrida, je suis unique et irremplaçable, alors que lorsque la fiction advient, le « je » se divise, le sens se dissémine : le « je » devient « il » : c’est là la discrétion du procédé littéraire, l’ellipse de quelqu’un qui ne va pas se mettre en avant et s’exposer indiscrètement. Cette force de la fiction littéraire permet d’outrepasser le témoignage brut. Car, affirme Derrida « Nous pouvons parler, nous pouvons lire cela parce que cette expérience, dans la singularité de son secret, comme expérience de l’inéprouvé, au-delà de la distinction du réel et du phantasmatique demeure universelle et exemplaire 3. »

N’est-ce pas alors la poésie et la littérature qui, bien plus que tout autre procédé de transmission, peuvent faire vaciller notre vision du monde et subséquemment nous donner la force de le transformer ?

 

1. Derrida Le facteur de la vérité p. 497.

2. Derrida Le facteur de la vérité p. 498.

3. Derrida Passions de la littérature – Demeure p. 66-67.