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JOURNÉES DE TOURS 2007 - 17 et 18 novembre


Le Primat du Phallus dans son rapport à la tradition philosophique


Dans ses développements théoriques et cliniques sur la question de la différence des sexes, la psychanalyse rend visible « une énorme et vieille racine » de la tradition philosophique désignée communément par primat du phallus. Dès l’introduction de l’article de Freud consacré aux théories sexuelles infantiles, l’avertissement sonne de manière évidente : « … les informations dont l’auteur va faire état portent principalement sur un seul sexe, à savoir le sexe masculin … », tout comme il sera par ailleurs affirmé dans les écrits freudiens que « la libido est régulièrement de nature masculine ». Lacan, quant à lui, ne pourra faire autrement dans son retour à Freud, en introduisant dans le séminaire sur la lettre volée le concept de « castration-vérité » et de la « castration comme vérité », comme signifié — premier et dernier — d’un signifiant transcendantal nommé le phallus. Ainsi ne vient-il nullement contredire les affirmations premières de Freud. Il y fera même référence explicitement : « Rappelons où Freud le déroule (le nœud de la division du sujet) : sur ce manque du pénis de la mère où se révèle la nature du phallus. »

Dans son commentaire de ce séminaire de Lacan, Derrida aborde de manière très générale la question du primat du phallus : « On pourrait être tenté de dire : Freud, comme ceux qui le suivent, ne fait que décrire la nécessité du phallogocentrisme, expliquer ses effets aussi évidents que massifs. Le phallogocentrisme n’est ni un accident ni une faute spéculative … c’est une énorme et vieille racine dont il faut aussi rendre compte. » Comment en rendons-nous compte quand cette spéculation descriptive devient « partie prenante » dans la pratique et lorsque cette pratique institue la tradition de sa vérité ? Ceci pourrait être notre première question.

Derrida reprendra cette question par une lecture des textes de Levinas auxquels il consacre de nombreux commentaires. Il y explique et développe cette « logique illogique » du primat du phallus, ayant pour conséquence une « secondarité » du féminin qui, en elle-même, viendrait hanter l’altérité du « tout autre » (sexuellement non marquée) depuis son retranchement, inscrivant en lui une altérité supplémentaire à la fois excessive et absolue. Cette innommable singularité « aura obligé » l’inscription de la féminité comme seconde. La notion du féminin, chez Levinas, ne se réfère pas, en effet, à l’inconnaissable, mais à un mode qui consiste à se dérober à la lumière, une fuite devant la lumière, une façon d’exister qui est de se cacher comme dans le sentiment éprouvé de la pudeur. « Tout comme pour la mort, ce n’est pas à un existant que nous avons à faire, mais à l’événement de l’altérité, à l’aliénation »

La suite de notre recherche concernera donc cette question et nous tenterons de voir en quoi cette approche de la sexualité chez Levinas pourrait se rapprocher par certains aspects de la démarche analytique : c’est le cas lorsque Lacan tente de fonder le primat du phallus dans un temps logique, à un niveau qui ne serait pas encore sexuel, dans un rapport neutre du sujet au signifiant. Le primat du phallus, en se conformant dans ces descriptions à la tradition, ferait apparaître une donnée qui reste normalement cachée, un secret bien gardé par la pensée métaphysique, une altérité méconnue et enfermée, non dite, dans une logique de la crypte, de l’incorporation freudienne que Derrida a largement développée. Comme l’écrit Michael Turnheim : « s’il y a méconnaissance de l’altérité, le dire du tout autre se trouve, malgré lui, du côté du même, mais d’un même dont nous savons maintenant qu’il est habité par une crypte, c’est-à-dire par une inclusion non avouée, clandestine » ou comme le dit Derrida : « Comment marquer au masculin cela même qu’on dit antérieur ou encore étranger à la différence sexuelle » ?

Nous tenterons tout au long de ces journées de saisir les effets d’un tel questionnement, aussi bien au niveau théorique que clinique.

Francis Capron

Liste des intervenants


  • Michael TURNHEIM : « Phallus-mort-travail »
  • Stéphane HABIB : « La chance d’une rencontre manquée : Lacan Levinas et inversement »
  • Joseph COHEN : « Histoire philosophique d’une coupure phallo-logo-centrisme et circoncision »
  • Jacqueline ROUSSEAU-DUJARDIN : « Freud et la sexualité féminine : intention et tradition »
  • Françoise GOROG : « Le primat du phallus et ses avatars chez Lacan »


Les actes des Journées de Tours 2007 ainsi que le DVD sont disponibles (voir la rubrique publications)

Questions


À propos des journées de Tours 2007 sur le primat du phallus dans son rapport à la tradition philosophique (Argument ci-dessous)

  1. Le phallus, signifiant de la différence avant qu’il y ait de la différence sexuelle
  2. La rencontre manquée Lacan Levinas
  3. L’Autre n’est pas une personne mais un lieu, qui plus est vide et le sujet est un pur effet de signifiant.

Le premier point m’a permis de revisiter ce que je croyais savoir du phallus. Histoire rivée au départ à des considérations anatomiques 1 : sur le plan clinique c’est l’observation de l’absence de pénis qui déclenche la pensée de la différence, sexuelle au départ, puis de toute différence. On passe alors du phallus imaginaire réductible à une forme prégnante, au phallus symbolique, objet détachable du corps, amovible et échangeable avec d’autres. Dans cette perspective, les objets perdus ( le sein , les fèces) prennent aussi valeur de phallus imaginaire et le phallus symbolique s’exclut de cette série pour en devenir l’étalon ( cf J D Nasio ) L’approche langagière de la signification du phallus en fait un signifiant sans signifié, ou plus exactement un signifiant dont le signifié correspondant ne peut être désigné que par la négative : il ne se dégage que comme ce qu’il n’est pas . Ou bien encore pour suppléer à ce qui n’est pas. Du coup, la proposition précédente, soutenue également par Françoise Heritier que : « la première différence, paradigme de toutes les différences c’est la différence sexuelle », ne paraît plus si assurée. Il devient alors probable qu’avant la découverte du pénis interviennent d’autres perceptions de la différence, comme la négativité, la présence et l’absence, la satiété et le manque. Même si dans l’après-coup, le primat du phallus recouvre ces expériences. Cela renouvelle aussi les descriptions kleiniennes de phallus présent dans le corps maternel avant l’apparition du complexe d’œdipe. L’idée de faire du phallus un concept issu du langage, du langage en tant que mise en acte de la parole, a également l’intérêt de pouvoir articuler le phallus et la mort ; le mot, c’est le meurtre de la chose. Le phallus c’est aussi la coupure avec l’autre, le non-rapport. Nous voilà près de la deuxième question, la rencontre Lacan Levinas.

Le deuxième point, la rencontre manquée entre Lacan et Levinas s’articule autour de « l’Autre ». L’approche de Levinas à partir de « totalité et infini » montre que dès que je parle, je fais totalité, vision du monde et rate par la même l’altérité. La distinction par Levinas du DIT et du DIRE recouvre étonnamment celle de Lacan entre le sujet de l’énonciation et le sujet de l’énoncé :

Lacan : Qu’on dise, reste oublié, derrière ce qu’on dit dans ce qu’on entend

Levinas : Il n’y a d’être que dans le dit
Il n’y a de dit que l’être
Le dire « existe » au dit, à l’ontologie, c’est un autrement qu’être

Ainsi chez Lacan comme chez Levinas l’autre pour garder son altérité (le tout autre) nécessite pour être pensé d’être évidé. Lacan en fait un lieu alors que pour Levinas, l’Autre, l’autrement qu’être, est un au-delà de l’être marqué par la transcendance :

L’autrement qu’être s’énonce dans un dire qui doit aussi se dédire pour arracher l’autrement qu’être au dit où l’autrement qu’être se met déjà à ne signifier qu’un être autrement

L’autrement qu’être concerne aussi bien le sujet que l’autre, tous les deux aussi insaisissables, oscillant sans cesse du dire au dit. On ne trouve pas chez Levinas d’équivalent conceptuel du phallus, mais ne pourrait-on pas dire qu’il est ce qui supplée à cette insaisissabilité de l’un à l’autre ? Nous retrouvons notre troisième point, pourquoi faire de l’autre un lieu et du sujet un pur effet de signifiant ? Si l’un comme l’autre ne se laisse pas dire, ni même écrire dans un mathème (l’autre, c’est l’expérience de l’inexpérience), ne signifie pas qu’ils soient un ensemble vide. Par contre rien ne s’oppose à concevoir le phallus comme un simple opérateur contingent, l’élément neutre des mathématiques.

Alain Paulay : a.paulay@wanadoo.fr

JOURNÉES DE TOURS 2006 - 18 et 19 novembre


La foi expectante


Cette expression freudienne "gläubigen Erwartung" inscrite dans l’article de 1905 De la psychothérapie n’est pas sans ambiguïtés. Mise entre guillemets dans le texte original, elle semble suspendue à une difficulté et peut-être une impossibilité de traduction. L’expression "foi expectante", retenue dans la traduction française, semble une équivoque qui permet à Sarah Kofman de questionner la pratique psychanalytique comme pouvant être une forme moderne du mysticisme. Si "die Erwartung" signifie bien "l’attente", "l’espérance" ou "l’expectative", l’emploi de "Glauben" sous sa forme adjectivée (gläubigen) ne semble pas permettre de traduire littéralement l’expression "gläubigen Erwartung" par "foi expectante". Freud en parle à propos de la suggestion utilisée par les méthodes médicales primitives : « … on commençait par mettre le malade en état de foi expectante … ». Il ne serait donc pas question ici de foi, mais de croyance, d’une « attente crédule », d’une « expectative croyante », disposition psychique caractérisant celle du patient faisant sa demande et à laquelle, comme le souligne Freud, il n’a nulle intention de renoncer.

Freud affirme, dans le même article, que la psychanalyse, loin de répondre à une telle demande, se propose de la régler, de la contrôler en y introduisant davantage de rationalité et d’efficacité. S’il ne rejette pas la psychothérapie, s’il affirme même au passage que nous en « faisons usage sans le vouloir », il montre d’ores et déjà la différence radicale qui sépare la psychothérapie de l’exercice de la psychanalyse. Peut-on dire, comme l’argumentera Lacan, dans son Discours aux catholiques, que Freud se conduit alors comme "un grossier matérialiste" ? À la "croyance crédule" ou "expectante", le maître de Vienne répond par le savoir de la science, de sa nouvelle science qui raisonnablement viendra prendre la relève du leurre "de la course des lévriers". Le transfert, cette "matière explosive", prendra la relève de la suggestion et de l’influence qu’elle continue d’avoir dans les psychothérapies. L’analyste, tel un chimiste, se verra confier le soin d’en entendre les résonances, d’en constater et d’interpréter ses manifestations, d’en être le destinataire sans en répondre personnellement. Ainsi serait née l’exigence de l’analyse de l’analyste. Ainsi, à la tentation de la "croyance", Freud répond par la tentation du savoir. Freud croit au savoir, donne crédit au savoir, à un savoir qui dans sa fiabilité ne se distingue guère plus d’un acte de foi. Derrida n’écrira-t-il pas que le recours au savoir est la tentation même … en un sens un peu plus singulier que celle du péché originel :

La tentation de savoir, la tentation du savoir, c’est croire savoir non seulement ce que l’on sait (ce qui ne serait pas trop grave), mais ce qu’est le savoir, et qu’il s’est affranchi, structurellement, du croire ou de la foi.

La psychanalyse serait-elle alors "la réponse" à cette demande quasi religieuse, à cette "attente croyante" du patient ? Si oui, comment y répond-elle ? En quels termes responsables ? Au nom de quelle vérité ? Au nom de quelle raison-vérité ? Nous pourrions donc nous interroger pour savoir comment, dans un premier temps, la psychanalyse s’oppose au religieux ou à la religion, et surtout à la religiosité, ne serait-ce que par sa filiation aux Lumières, et comment dans un second temps – celui-ci raisonné – elle semble spontanément composer avec le religieux; religion et raison ayant la même source. À moins, bien sûr, que la psychanalyse ne veuille répondre devant personne, ni même devant la raison psychanalytique, des actes qu’elle pose ? Se dire psychanalyste se soutiendrait alors uniquement de l’aporie de son exercice : dans ce cas alors, et seulement dans ce cas, l’expression freudienne "gläubigen Erwartung" resterait intraduisible, resterait elle-même en attente, dans "l’expectative".

Francis Capron

Liste des intervenants

  • Jean COOREN : « A propos du transfert et de cette foi qui en soutient l’écriture »
  • Anne BOURGAIN : « Il était une fois la langue »
  • Jean Luc NANCY : « De la croyance »
  • Jacqueline ROUSSEAU DUJARDIN : « La Gläubige Erwartung freudienne un aspect de la conquête psychanalytique… »
  • Jacques NASSIF : « L’attente, l’oubli … de la voix »
  • Alain PAULAY : « Du sujet tel qu’il apparaît dans l’énonciation des croyances »
  • German ARCE ROSS : « Du deuil anticipé au désir incarné »


Les actes des Journées de Tours 2006 ainsi que le DVD sont disponibles (voir la rubrique publications).

JOURNÉES DE TOURS 2005 - 19 et 20 novembre


Depuis Lacan, quelle direction pour la cure ?


Ce questionnement était déjà actuel dans les années 1960, date à laquelle Jacques Lacan publiait dans les Écrits, sous la reliure du « Séminaire sur “La lettre volée” », « La direction de la cure et les principes de son pouvoir ». Le ton de Lacan était résolument polémique, le style et la forme de son discours augurant de quelque bouleversement dans la littérature analytique. L’adversaire déclaré était alors l’héritière de la lettre freudienne, Marie Bonaparte, soupçonnée de détournement, pour promouvoir un retour à Freud de la lettre dérobée. « Prendre son désir à la lettre » s’instituait en titre du dernier chapitre du texte sur « La direction de la cure », impératif se révélant indissociable d’une logique du signifiant et d’une « science de la lettre » qui élaboraient une théorie du sujet et définissaient une nouvelle donne dans la théorie du transfert.

Peu d’analyses sont venues nourrir le débat réel que soulevait le discours de Lacan. Une lecture attentive de ces textes, indissociables les uns des autres, fut faite par quelques philosophes dont Jacques Derrida qui remarquait que ce nouveau discours, trouvant ses fondements dans l’idéalité du signifiant et de la vérité comme dévoilement, était d’un classicisme extrême tout en reconnaissant certaines avancées dans la lecture analytique des textes littéraires. Autant dire que cette œuvre théorique ne faisait que réitérer le geste classique de la métaphysique occidentale. Peu de psychanalystes, à l’époque, ont entendu dans le questionnement derridien l’ouverture d’un débat qui impliquait de nombreuses conséquences cliniques, théoriques et institutionnelles pour la psychanalyse. On fit corps et masse autour du nom de Lacan pour préserver de toute atteinte l’intégrité d’une pratique doctrinale qui ne cessait de faire des adeptes. C’était l’heure de gloire de l’École freudienne.

Qu’en est-il maintenant, vingt-cinq ans après la mort de Lacan ? Est-il temps de relancer ce débat qui n’eut pas lieu ? Les prises de position de l’ensemble des institutions post-lacaniennes concernant la réglementation du statut de psychothérapeute ne démontrent-elles pas l’opportunité de penser cette maladie auto-immune dont paraît bien souffrir la psychanalyse ? La plupart des psychanalystes ont-ils oublié la teneur et les potentialités d’un débat qui pouvait porter la psychanalyse au-delà des espérances d’un Freud, sceptique sur la survie de son nom ou souhaitant que celui-ci s’efface pour sauvegarder la pratique psychanalytique comme ultime résistance individuelle et collective à l’oppression totalisante ?

Peut-être l’heure est-elle venue de rouvrir un débat pouvant faire revivre la pensée psychanalytique et qui traverse cet autre débat qu’engagea Lacan avec les philosophes.

À tenter de le rouvrir, peut-être nous apercevrons-nous qu’il engage au-delà des concepts philosophiques une direction, un sens à la cure psychanalytique qui manque aujourd’hui cruellement à sa place. Il s’agira bien ici de refaire le chemin, de retrouver la trace des frayages de ceux qui, avant nous, en ont ouvert la voie.

Nous ne remercierons jamais assez les auteurs de cet ouvrage collectif pour l’excellence de leurs travaux et pour le soin qu’ils mirent à la réalisation de cette publication. Nos remerciements vont aussi à Jean-Paul Abribat pour son amicale participation aux Journées de Tours 2005.

Francis Capron
Président de la Société Psychanalytique de Tours

Liste des intervenants

  • Francis HOFSTEIN : « Aujourd’hui et naguère ou la lettre égarée. »
  • Michael TURNHEIM : « L’œuvre de Derrida et la pratique psychanalytique. »
  • Thierry BEAUJIN : « Avant toute direction, la raison d’être ? »
  • Pierre GINESY : « Du Phlegethon aux Lumières, brève histoire d’un court-circuit hydroélectrique »
  • René MAJOR : « Depuis Lacan, une autre conception de la « cure »
  • Chantal TALAGRAND : « De la métaphore à l’oxymore, ou d’une lettre à l’autre »
  • Francis CAPRON : « La garde de la lettre fait-elle résistance à l’exercice de la psychanalyse ? »
  • Jean Paul ABRIBAT : « De la pastorale analytique et de l’anti psychanalyse »
  • Franz KALTENBECK : « D’une rencontre manquée : raisons, symptômes, ressorts. »


Les actes des Journées de Tours 2005 ainsi que le DVD sont disponibles (voir la rubrique publications)

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