En hommage à Francis Capron

La sidération s’entend d’abord comme funeste, son étymologie sideratio renvoie à l’état d’anéantissement subit provoquant une profonde stupeur. Les anciens l’associaient à l’influence néfaste des astres. Autrement dit, être sidéré c’est être soumis à ce qui dépasse, insaisissable, insondable. Et l’on demeure-là, interdits de dire ou de faire. La mort est le lieu de cette indicible sidération, l’impossible prend toute la place. Elle paralyse.
Francis n’est plus de ce monde. Cela est indicible, impossible à écrire, à dire de mort, glacé, froid, sec, cassant.

Face à ce silence vertigineux, reste son écriture.
Celle de Francis, sensible et mélancolique, était battante de vie, toujours en espérance de fraternité, de communauté politique, à l’infini d’une pensée qui attend de se tisser, autrement. Seuls ses mots pourront dorénavant résonner à nos oreilles aiguisées, dressées par son don de vie et d’intelligence. Car il aura écrit, inlassablement, à la lumière sombre de la mélancolie, son thème de prédilection décliné au fil de ses séminaires[1]. Il faut les ouvrir à nouveau, pour apercevoir, aux détours, en filigrane, quelques-unes de ses convictions. Elles se seront dessinées, puissantes et voilées, lorsque la lettre se lit dans le texte se dérobant, là où se trouve sa pensée, lieu de l’Árkê[2] .
Particulièrement soucieux des exigences d’une pensée rigoureuse, Francis n’aura eu de cesse de traquer, notamment, les résonnances de ce qu’il nommera les « Traces, passages et écarts de Nietzsche à Derrida ». Ces traces seront toujours travaillées par lui au sein de l’extra-vagance d’une pensée audacieuse, joyeuse, dionysiaque visant avec précision une recherche au-delà du logos et de la raison.
Porter haut la voix de sa pensée, intense et patiente, est ce dont nous devons répondre désormais. Écoutons-la encore plus fort maintenant qu’il est parti. Il nous avertissait déjà en 2007, il n’existe pas de joie sans souffrance, pas de vie sans mort :

« Ce que Nietzsche ose, c’est un « oui » sacré à la vie qui ne sépare pas le tout masculin du tout féminin et qui envisage une fête dionysiaque s’opposant à la sobre jouissance de la Loi. (…) Je soutiens que Nietzsche nous parle de la même chose [que Freud « dont la question est celle de la vie de la pulsion et sa destination »] lorsqu’il nous parle d’Éros, soit « cette joie qui comprend également en soi la pulsion de la destruction ». Phénomène limite car, précise Nietzsche, il s’agit bien d’une joie qui n’a rien à voir avec la violence, ou une cruauté dont le vecteur serait la tristesse. Non, il s’agit bien une fois de plus d’une joie tragique, d’une affirmation de la vie comme affirmation, soit d’une affirmation de la vie qui affirmerait en même temps, dans le même temps la mort. Pas de vie sans la mort, pas d’extase sans appétence, pas de déception sans tristesse, pas de joie sans souffrance… pas de joie sans le sentiment en soi de la destruction de la joie, pas de sentiment de l’être sans la question de son devenir[3] . »


Toutefois, cette mélancolie en forme d’écriture ne rime à rien si on ne la lit pas, comme il la lisait lui-même, à la lumière de la théorie nietzschéenne de l’éternel retour associée à la question de la communauté impossible chez Bataille.
De fait, dans les textes de Francis, Bataille advenait tout près de Nietzsche, ces deux pensées jamais loin l’une de l’autre, tout contre la sienne. En invoquant Bataille, Francis entendait certes le principe de la dépense de vie excessive - lorsque contre l’économie générale ne visant dans la dépense que le retour en investissement utile, il faut préférer la « dépense solaire », c’est-à-dire « l’ex-tase », comme sortie hors de soi, dans le rire, la poésie et l’amour, une dépense de la profusion et du don généreux -. Mais il n’aurait jamais omis de relier les penseurs de la philosophie avec ceux de la psychanalyse et notamment ici, avec Lacan. En effet, selon lui, Lacan et Bataille avaient en commun de conduire, « à la formulation non vraiment d’une éthique, mais à des éléments dispersés d’une éthique qui ne serait plus éthique de l’idéal, mais éthique du réel, celle qui dirait que ‘’vivre est follement, sans retour, jeter les dés’’, celle du ‘’laisse-toi être’’ parole que Lacan prêtait au Grand Autre si cet Autre pouvait parler[4]. »
Cette éthique ne peut se comprendre selon Bataille que sous la forme d’une œuvre écrite. « Une écriture comme exigence de poésie, exigence d’une écriture poétique. Écrire au sens large, soit créer afin de reconnaitre en soi la souveraineté du mal, de la cruauté (c’est peut-être la seule souveraineté), la traverser pour en connaître les limites. Écrire pour entendre la volonté qu’il faut pour écrire le désir, soit dans un même geste, lui répondre et le décevoir. Écrire jusqu’au moment où l’écriture rend compte du sacrifice, soit est une création au moyen de la perte ; là où l’on peut également entendre que le sujet se trouve à la fin annulé et affirmé : annulé le sujet du pouvoir et affirmé celui de l’impouvoir; là où peut-être seulement alors pourrait s’esquisser, autour de l’œuvre littéraire, une communauté de pensée[5] . » Francis, lui, dans le sillage de ces penseurs, envisageait une communauté de pensée et la pensée en général (sa transmission), grâce à la traversée du transfert. Concluant sur les mêmes mots que ceux de Bataille, il affirmait : « L’exercice de la pensée a pour condition le transfert et seule la traversée du transfert rend possible la transmission, si l’on admet que ce qui est transmis n’est pas un pouvoir mais un impouvoir[6] . »
Être psychanalyste selon lui, c’était donc s’engager dans ces questionnements autour de l’humanité, encline à la cruauté et à la violence, obstruant fondamentalement la possibilité des communautés politiques. Mais c’était surtout se risquer à porter avec toute sa charge mélancolique, donc, la recherche d’une communauté de penseurs. Une autre communauté, espérée au fil de son désir fou de fraternité. Car bien sûr, cette espérance ne pouvait se dire qu’en éternel retour-sans retour, puisque l’impossible ne cède jamais vraiment, les dés jetés.
Tel était son combat. Combat relancé sans cesse en retour, à l’œuvre notamment dans sa pratique singulière, mais aussi se lisant à même sa pensée, une pensée de l’abime, sans promesse :

« L’éternel retour est cette affirmation qu’à l’instant où je le détermine (donc à l’instant de ma détermination la plus forte, celui où je décide, où je pose l’acte et que j’en réponds) j’acquiesce à la totalité du temps, au présent, au passé et à l’avenir. Je fais de ce qui fut, de ce qui est et de ce qui sera un objet de ma volonté (ou de mon désir), échappant par là-même au remords et à la nostalgie autant qu’à la crainte de l’avenir. Telle est la position de Nietzsche qui ainsi bouleverse le rapport à la mort. En disant « oui » à tout le temps, je dis oui à la mort qui viendra. En faisant de chaque instant un abîme d’éternité, je le fais aussi de l’instant de ma propre mort. ‘’Par simple amour de la vie, on devrait vouloir une mort différente, libre, consciente qui ne soit ni hasard ni une agression par surprise ’’[7]. »[8]


C’est ainsi grâce à l’affirmation de sa foi en la vie et par ce « oui sacré » dégrisé de l’illusion, que Francis aura su nous appeler à un impératif éthique au-delà : celui du « puissé-je » derridien. « Puisse, alchimie grammaticale de la vie pour la vie, là où s’accorde la puissance de la lettre non pas depuis le pouvoir mais depuis le vœu (« ‘’puisses-tu m’entendre’’, ‘’puisses-tu écrire’’, ‘’puissé-je recevoir l’ordre de vivre’’, ‘’puisse la lettre arriver’’, etc.[9]) ».
Il aura souhaité œuvrer - au fil d’une écriture à l’exigence sans concession, chaque jour recommencée, dans l’éternel retour et du côté de la surabondance -, à faire que puisse se conjuguer la généreuse profusion de la vie à l’indicible de la mort; que puisse s’entrevoir l’exigence d’une communauté, même si toujours infraternelle, même si nécessairement sous-tendue par une pulsion de pouvoir (Bemächtigungtrieb, comme pulsion de destruction) ; que puisse demeurer, face à cette impossible exigence, la question de l’au-delà de la pulsion de pouvoir à jamais relancée, sans alibi.
Et nous, de ce côté-là, du côté de la vie, puissions-nous rendre hommage simplement, à son écriture, à la façon de Derrida qualifiant ainsi l’art littéraire d’Hélène Cixous : une écriture du rêve et du souffle comme « un frôlement de l’éternité », nous élevant « d’un seul coup d’aile dans l’éther, à l’instant où l’aile angélique et secrète de l’éternité vient vous caresser ». Frôlement caressant, à la grâce d’une écriture transmuée en « bons d’immortalité[10] ».

Au nom de La Société Psychanalytique de Tours

Notes

[1] Jusqu’au dernier en 2018-2019 intitulé Derrida, l’ami de la psychanalyse, autour de l’impossible amitié chez Derrida conçue d’abord par rapport au questionnement politique de la démocratie.

[2] Rappelons que Arca signifie le coffre, l’« arche en bois d’acacia » qui abrite les Tables de pierre ; mais Arca dit aussi l’armoire, le cercueil, la cellule de prison ou la citerne, le réservoir. Ici, nous voulons désigner le terme Arca en hommage à une lecture qui ne vaut qu’à ne jamais pouvoir être dévoilée, à ne surtout pas être soumise aux seules lois de l’intelligence, du savoir et de la sagesse. C’est en cela même que cette lecture consiste à se rendre à…

[3] Francis CAPRON, Résonnances freudiennes : traces, écarts, passages de Nietzsche à Derrida, Février à juin 2007, La Société Psychanalytique de Tours.

[4] Francis CAPRON, Mélancolie ou deuil impossible d’une certaine humanité, in Les actes de la Société Psychanalytique de Tours, Édition 2011 – « Penser autrement, le possible de l’impossible ».

[5] Tout ce passage en italique se réfère également à l’intervention de Francis CAPRON en 2011 publiée dans l’acte des Journées de Tours « Penser autrement, le possible de l’impossible » et intitulée Mélancolie ou deuil impossible d’une certaine humanité.

[6] Ibid

[7] Friedrich NIETZSCHE, le crépuscule des idoles, cité par Francis CAPRON in, Résonnances freudiennes : traces, écarts, passages de Nietzsche à Derrida, Février à juin 2007, La Société Psychanalytique de Tours.

[8] Francis CAPRON in, Résonnances freudiennes : traces, écarts, passages de Nietzsche à Derrida, Février à juin 2007, La Société Psychanalytique de Tours.

[9] Jacques DERRIDA, H.C. pour la vie, c’est-à-dire…, Éditions Galilée, p. 64.

[10] Ibid., p.136

La Société Psychanalytique de Tours

La Société Psychanalytique de Tours est une association loi 1901. Elle s’inscrit dans le prolongement de l’œuvre de Freud et souhaite promouvoir l’exercice de la psychanalyse en tant que discipline indépendante de la médecine et des diverses formes de psychothérapies. Elle se dotera, à court et moyen termes, des outils de formation et de réflexion jugés indispensables à la connaissance de la psyché. Cette association a pour but de préserver l’indépendance et l’autonomie de l’exercice de la psychanalyse face aux asservissements de tous ordres qui menacent actuellement sa spécificité.

Concourir à la formation et à la réflexion de ceux qui pratiquent déjà la psychanalyse indépendamment de leur appartenance à une école ou à une institution psychanalytique déjà existante. Elle s’adresse aussi à ceux qui désireraient acquérir les connaissances et la culture indispensables à l’exercice de cet art. Ses actions peuvent concerner un public plus large qui, s’intéressant aux manifestations de l’inconscient, pousserait la curiosité jusqu’à suivre les sessions de formation proposées par la Société. La visée de La Société Psychanalytique de Tours est donc éminemment culturelle par la promotion et les exigences qu’elle définit pour la pratique de la psychanalyse. Elle tendra donc à rendre accessible la cure psychanalytique au plus grand nombre en inscrivant ses actions en résistance à l’oppression sociale et politique souvent relayée par les institutions soignantes existantes.




Rendez-vous 2022-2023

 

 

 

Séminaire de Catherine Kauffmann
« Transfert, transmission, transformation ».

 


 


 

 

 


 


La nature est source d’aléas, de risques, de désordre. L’homme n’a de cesse de vouloir la domestiquer, la dominer, la supprimer, si possible par une mise en ordre rationnelle du monde qui en éradique les incertitudes, les imprévisibilités[1]. Ainsi, si l’homme est mû par la nature et cela comme n’importe quel autre être vivant (soumis à son mouvement), il est aussi doté du pouvoir de transformer la nature ainsi que sa propre nature (mouvement actif). De cette circulation dialectique, découle le paradoxal pouvoir de mise en œuvre de la civilisation (kultur) - par le travail ou l’art notamment -, mais aussi celui de destruction lorsque, par le progrès, s’affole l’hubris.

                  Or, dès ses origines grecques la philosophie travaille sur ce paradoxe entre la création et la production. Elle nous alerte en convoquant l’homme à la sophrosùné face aux risques de la sophia. La sphrosùné, comprise comme discours de la prévention et de la tempérance, est le versant de la philosophie où l’homme est appelé à entendre ses propres limites afin de déjouer son désir démesuré d’emprise et de maîtrise de la nature ; une philosophie de la modestie et de l’humilité, de la sagesse. La sophia, elle, est au contraire audacieuse. Il s’agit de la sagesse irrévérencieuse du savant, du sachant, curieux, impétueux et entreprenant, doué de logos, usant de l’instrument de la rationalité et de l’intelligence, poussé par le désir sans limite d’élargir sa puissance et son appropriation du monde.

Dès le commencement donc, la philosophie contient ces deux approches, contradictoires mais réunies, s’opposant et se mobilisant l’une contre l’autre, l’une avec l’autre, au gré des enjeux de domination, de renoncement, d’aliénation.

                  Cette année encore j’aimerais poursuivre mon travail sur les questions autour du discours de la rationalité, sur la façon dont la psychanalyse, dans un geste critique et révolutionnaire, a permis d’interroger la maîtrise de ce discours. Comment, en ce faisant, elle permet de réengager une mise en éveil de la philosophie en sondant notamment l’idée selon laquelle le savoir est associé à la pulsion.

Car, rapprochée de la pulsion d’emprise, la pulsion de savoir est caractérisée par Freud dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité, comme une « action [qui] correspond d’un côté à un mode sublimé de l’emprise et d’un autre côté [qui] travaille avec l’énergie du plaisir-désir de regarder. Ses relations à la vie sexuelle sont cependant des relations particulièrement significatives, car nous avons appris de la psychanalyse que la pulsion de savoir des enfants est attirée avec une précocité insoupçonnée et une intensité inattendue, par les problèmes sexuels, qu’elle n’est peut-être même éveillée que par eux. […]Le premier problème dont [l’enfant] s’occupe, en accord avec l’histoire de l’éveil de cette pulsion, n’est d’ailleurs pas la question de la différence des sexes, mais l’énigme : d’où viennent les enfants ? Avec une déformation que l’on peut facilement défaire, c’est aussi l’énigme qu’il revient au Sphinx de Thèbes de poser[2]. »

Nous nous questionnerons, au fil de ce séminaire, sur le lien entre la pulsion de savoir et le désir de connaitre puis de transmettre ; comment cette traversée depuis soi vers l’autre ne peut jamais se comprendre sans violence - c’est-à-dire sans un désir de transformation de soi, des autres et du monde - ; et comment la psychanalyse y a substitué la notion de transfert.

Le séminaire se tiendra au 2, rue du commerce à Tours à 20H30, les vendredis 7 octobre, 9 décembre 2022 et 3 mars, 5 mai 2023.

 


[1] Voir André Gortz, L’immatériel, Éditions Galilée, 2003.

[2] Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, OC, VI, 1901 – 1905, p. 130-131 (C’est moi qui souligne).

 

 

 

 

Séminaire de Catherine Kauffmann
« Ce que la philosophie doit à la psychanalyse ».

 


 


 

 

 


 


 

Dès la dialectique de Platon, comprenant le Bien comme épékeina tès ousias (c'est-à-dire « au-delà de l'être »), on trouve une hyperbole présente au cœur même de la pensée, qui l’ouvre et la fonde comme telle, tout en l'excédant. En effet, il y a dès l’origine excès par lequel « toute philosophie (du sens) se rapporte en quelque région de son discours au sans-fond du non-sens »1, un non-sens qui ne peut qu'être enfermé dans le discours fini du logos, sans quoi il se perd dans le labyrinthe ou « palintrope », là où les mortels selon Parménide sont perdus, contraints de se contredire, obstinés à vouloir emprunter le chemin du dire le néant, dont la déesse prévient pourtant qu'il ne peut ni être connu, ni même être dit : chemin clôturé.

Chemin que Derrida voudra, lui, emprunter.

En poursuivant ainsi la posture hyperbolique qui se rejoue notamment avec Descartes, Derrida propose dès lors de soutenir encore plus radicalement l’angoisse de l’instabilité ou les limites de la folie contenues dans toute pensée, celle-ci appelée par là à assumer sa propre errance. Pour cela, il ouvre au plus large le champ des prérogatives de la philosophie en montrant qu’il existe une autre écriture, une archi-écriture excédant toujours le contenant, irréductible à un lieu ou un tenant-lieu, lorsque ni le livre, ni la bibliothèque, ni même l’auteur ne peuvent la situer, puisque cette écriture pense l’espacement, le devenir-absent et le devenir-inconscient du sujet.

C’est alors avec Freud que Derrida repère les mêmes enjeux à propos d’une écriture qui ne s’enferme jamais dans une représentation exposée au sein d’un théâtre, là où l’écriture nous joue une scène. Cette Scène de l’écriture que Derrida travaille à déconstruire avec minutie, se rendant à une amitié infraternelle avec Freud.

Sans doute est-ce alors lorsque Derrida affirme la nécessité d’un immense travail de déconstruction de la complicité de Freud avec la métaphysique que l’hommage à la puissance révolutionnaire de la psychanalyse prend sa pleine mesure. C’est ainsi, en effet que Derrida ne cessera plus, à partir de 1965 et de La grammatologie, par sa lecture des textes de Freud, de faire en sorte que les apports freudiens se déploient au-delà d’eux-mêmes, emportant en ce mouvement une philosophie autre, une autre promesse de la philosophie; là donc où l’hyperbole endure l’extravagance au-delà des schèmes de la représentation, toujours déjà ancrés dans une détermination temporelle classique.

C’est autour de ces enjeux derridiens que nous aurons à cœur de soutenir cette affirmation proposée par Jean-Marie Vaysse, dans son ouvrage L’inconscient des modernes : « Si la philosophie moderne a parlé de l’inconscient sans le savoir, la psychanalyse a fait de la philosophie sans le vouloir. Là où était le sujet moderne, l’inconscient devrait advenir ; là où est advenu l’inconscient la philosophie doit revenir. »

 

Catherine Kauffmann.

 

Ce séminaire est ouvert à tous après inscription au : 06 81 99 71 39


Il se tiendra au 2 rue Paul-Louis Courier (lieu à confirmer) les vendredis à 21h aux dates suivantes : 25 mars ; 20 mai

1. Jacques Derrida, L’écriture et la différance –Cogito et histoire de la folie, Seuil, 1967, p. 88.

 


 



 

Groupe de lecture de Thomas Sabathier

 


 


 

« Soit Au-delà du principe du plaisir. Par moi ouvert à la première page, sans autre précaution, aussi naïvement qu’il est possible. »

 


 


Ouvert à tous, ce groupe travaillera sur Spéculer - sur « FREUD » dans La carte postale. De Socrate à Freud et au-delà. Il se propose d’emboîter le pas de Derrida lisant Au-delà de Freud, pas à pas reprendre ses « déambulations » à travers le texte Freudien.

 

Ce séminaire se tiendra au 2 rue du commerce (lieu à confirmer).

Les vendredis à 20H45 aux dates suivantes :
4 mars ; 1er avril ; 6 mai

On s'inscrit en téléphonant au : 06 24 67 34 25

Il est préférable d'avoir lu l’ « Au-delà du principe de plaisir » de Freud.

 



 


 

Conférences données par Francis Capron
« La Psychanalyse à supposer... » - 40 ans après -

 

 


 


 

Après 40 années d’exercice de la Psychanalyse peut-être est-il nécessaire de témoigner. Témoigner non seulement de l’expérience acquise, mais aussi des points cruciaux et spécifiques de la clinique psychanalytique, l’évolution de certains concepts et pratiques, du rôle de ses institutions dans sa « supposition » idéologique et théorique, l’influence des faits politiques et sociétaux dans la « supposition » de son influence ou de son inertie, etc.

Ces conférences se tiendront les 3 et 4 juin 2022.

Les lieu et horaires vous seront communiqués ultérieurement.

Renseignements au : 06 07 24 29 98

 


 
 


 


 

 

«En thérapie»: la psychanalyse redécouverte

6 févr. 2021/ Par Stéphane Habib / Blog : Le blog de Stéphane Habib

 

Avec «En thérapie», ce que viennent de faire E. Toledano et O. Nakache, c’est un petit tremblement de terre dans la réception de la psychanalyse en France. En thérapie réussit là où toutes et tous, psychanalystes, théoriciens des sciences humaines, lecteurs de Freud, ne pouvaient qu’échouer. Plus encore, ils font de la psychanalyse un synonyme du politique : l’inquiétude pour la survie des corps parlants les uns avec les autres. Où s’entremêlent inextricablement le singulier et le multiple, l’unique de la parole et le pluriel des corps.
 

On pourra pincer les lèvres et prendre cette petite voix méprisante de celles et ceux qui considèrent que la chose de masse ne peut qu’être vulgaire et forcément caricatural ce qui s’adresse au plus grand nombre. D’ailleurs avec cette voix-là on affirmerait du haut d’un savoir et d’une expérience que, franchement : non ! Voire deux fois non.

Non 1 : à la psychanalyse. Trop longue, trop coûteuse, trop compliquée, trop vieille, trop inefficace, trop XX° siècle en somme. Aujourd’hui il y a tellement de méthodes innovantes et de thérapies brèves sans trop de blabla et de chichis : en somnolant, en respirant, en criant, en souriant, en regardant de la lumière, en se répétant deux-trois phrases devant la glace tous les matins, en s’étirant, en s’assouplissant…

Non 2 : et puis de toutes façons, ça n’est pas ça la psychanalyse. Ou avez-vous vu en France qu’on enlève ses chaussures, qu’on s’assoit et se lève à sa guise au cours des séances, qu’on va aux toilettes, vomit sur un tapis, boit un café, demande un verre d’eau et qu’on ne paye pas après chaque séance ? Où avez-vous vu que la ou le psychanalyste s’enquiert de l’état de sa patiente ou de son patient à la fin d’une séance pénible et lui propose un taxi. Où enfin (on pourrait continuer longtemps mais ces lèvres si serrées, ce doigt sur la couture des manuels et cette voix haut perchée sont une pose finalement assez douloureuse qu’on ne peut tenir trop longtemps) qu’on passe autant de temps en explication des processus psychiques inconscients ? La, le psychanalyste ne fait pas de cours de psychanalyse à ses analysant.es.

Le Docteur Dayan devant ces deux « non » en série aurait invoqué, à coup sûr, la logique du chaudron. Et voilà qu’on se met à citer Dayan comme on pourrait évoquer Mélanie Klein ou Karl Abraham !

Eh bien oui. Et il y a fort à parier que ce que viennent de faire Eric Toledano et Olivier Nakache (mais encore avec eux : Mathieu Vadepied, Pierre Salvadori et Nicolas Pariser, et, parce que c’est un collectif et que ce n’est pas un détail, l’écriture, dans le passage à l’image de la chose analytique, les scénaristes David Elkaim, Vincent Poymiro avec Pauline Guena, Alexandre Manneville, Nacim Mehtar) par l’adaptation de cette série originellement israélienne, c’est un petit tremblement de terre dans la réception et l’image de la psychanalyse en France en ce moment même. C’est peu dire qu’elle avait perdu de sa superbe. Que le triste sire Onfray pérorant sur les plateaux télé à partir de son argument massue « j’ai lu tout Freud dans l’ordre chronologique des Œuvres Complètes » tirant ainsi à la kalach (Reda Kateb-Adel Chibane nous inspire) sur une ambulance en panne, avait eu son petit effet, entraînant avec lui les amie.s du déclin et de la réaction.

En thérapie réussit là où toutes et tous, psychanalystes, théoriciens des sciences humaines, lecteurs de Freud, de Lacan et de quelques autres ne pouvaient qu’échouer (médiatiquement parlant, il est toujours trop long et fastidieux de démonter un préjugé, de faire trembler un mensonge par le discours rationnel et l’analyse argumentée.) Comment ? Paradoxalement, en prenant le contre-pied de Freud. En relevant un défi lancé par l’inventeur de la chose dont ils ont su s’emparer. En lui portant la contradiction (du moins de prime abord). En effet, c’est Freud lui-même qui a posé que la psychanalyse n’était pas représentable par l’image. Ni ses concepts, ni sa pratique.

Ce qui est vrai, du reste. Et il y a fort à parier que, ni Eric Toledano, ni Olivier Nakache n’ont jamais prétendu représenter la psychanalyse. Mais ce qu’ils ont compris devant ce massif de l’irreprésentable, c’est que c’est là le moteur de la représentation. Qu’une représentation digne de ce nom ne désire que l’irreprésentable. Ce qui ne signifie pas qu’elle finit par le réduire, l’irreprésentable, à ce qui est représenté, mais qu’elle tourne autour de ce qui toujours et malgré la représentation, reste irreprésentable. Freud devient, par là même, dans cette série pour la télévision, pris aux mots et source du désir de représentation.

C’est pourquoi, cette mise en images, par la simple suite de champs-contrechamps finement rythmés, permet de donner à penser et à voir ce que c’est, ce qui se joue, ce qui se passe, avec et dans la psychanalyse. En Français la langue parle d’elle-même qui dit : « donner une bonne image ». Les psychanalystes peuvent leur en savoir gré. Pas seulement parce que les cinéastes suscitent de nouveau la curiosité pour leur discipline. D’ailleurs, il faudra sûrement un jour faire un documentaire ou une enquête sociologique sur l’effet d’En thérapie. dans les cabinets des psychanalystes. Il s’avère que l’on m’en parle tous les jours. Pour comparer, et pas toujours à mon avantage d’ailleurs, le travail, la manière surtout. Le comment de ce travail ou le sens de telle notion. La vie – bien sûr c’est un fantasme important dans la relation analytique – de celle ou celui qui occupe la fonction de psychanalyste. Par là même la « découverte » que psychanalyste est une fonction et non un « être » ou une « essence ». On n’est pas psychanalyste comme on est petit.e, brun.e ou blond.e, mais seulement le temps de la séance, un temps à reprendre à chaque fois, il s’agit de recommencer à occuper cette fonction et cette place-là. Hors de ce temps-là, l’existence boite comme pour tout le monde. Et la psychanalyse, pour reprendre les mots de Freud, c’est entre mille autre choses ce qui permet de considérer que « boiter (…) n’est pas un péché. »

Cela peut paraître rien, ou presque rien. C’est vrai. Mais le « presque » fait la différence. Et c’est la matière même de la psychanalyse. En thérapie apprend ou rappelle que la psychanalyse est cet accueil de l’inframince, du presque rien, de l’infraordinaire. Ecouter cette micro-nuance qui se donne dans la parole, et non seulement dans ce qui se dit, mais encore dans ce qui ne se dit pas dans ce qui se dit, c’est cela l’accueil de l’oreille de l’analyste. Accueillir est écouter. Ralentir. Prêter son oreille à ce qui prend le nom ou la figure du rebut, du déchet, des fissures, des marges, de ce que soi-même ou les autres le plus souvent, jettent, repoussent, oublient, éloignent, excluent, c’est bien le vif de l’analyse. Art des détails. Oxymoron magnifique de Lacan : science de ce qui ne marche pas. En thérapie marche parce que c’est la mise en image de l’accueil de ce qui ne marche pas.

Un dernier mot. Le plus important puisqu’il y va de ce qui vient. Ce faire avec ce qui arrive, et quoi que soit ce qui arrive, fait de la psychanalyse un synonyme du politique. Comment ne pas voir cela dans ce autour de quoi tourne obsessionnellement la série elle-même : la terreur qui s’est abattue sur le pays le 13 novembre 2015.

C’est alors le point nodal ou minimal du politique, qui apparaît à l’image dans la pratique analytique : l’inquiétude pour la survie des corps parlants les uns avec les autres. Où s’entremêlent inextricablement le singulier et le multiple, l’unique de la parole et le pluriel des corps. Sans cela, il n’y a ni psychanalyse, ni politique. En thérapieest la mise en images de ce fait étonnant que le lien social s’allonge (ou s’assoit, qu’importe) tous les jours et plusieurs fois par jour sur le divan des psychanalystes.

Il n’y a donc pas de psychanalyse qui ne soit engagée par la chose politique. Que les psychanalystes l’acceptent ou le refusent, d’ailleurs. Faire avec ce qui arrive oblige. Oblige n’en déplaise à certain.es, à être altéré sans cesse par ce qui vient et à se laisser interroger et se reprendre, se théoriser, se repenser depuis et avec, oui avecles questions postcoloniales, les différences sexuelles, les identités multiples et mouvantes, les mises en questions trans les plus radicales. Etre dérangé et plongé dans le non savoir de ce qui arrive, avoir à bricoler avec cela, c’est le quotidien de la psychanalyse et ce quotidien est l’extraordinaire même. Il s’agit alors d’élargir les corpus, agrandir la boite à outils, renouveler interminablement son épistémologie. Et là où l’on peut commencer par être agacé par le côté penaud du bon Docteur Dayan, regarder bouger l’image du corps du psychanalyste finit par nous faire entendre tout cela.

En thérapie montre qu’à venir est l’autre nom de la psychanalyse. On l’avait certainement oublié. Il faudra penser à une rétrocession d’honoraires.

 

Stéphane HABIB.

 

Source : https://blogs.mediapart.fr/stephane-habib/blog/060221/en-thérapie-la-psychanalyste-redecouverte

 


 

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